Préface
du
Grand Robert de la langue française
par Alain REY
I. Un dictionnaire moderne dans une tradition
Encore qu'il s'agisse de l'édition augmentée d'un ouvrage reconnu, ce dictionnaire de langue constitue une nouveauté dans l'histoire du genre. En effet, tous les grands ouvrages alphabétiques sur la langue française ont apporté une vision historiquement déterminée du lexique et des vocabulaires; et leurs qualités mêmes les ont condamnés à une pérennité immobile. Moderniser le Littré est une entreprise absurde. En revanche, enrichir et mettre à jour le Grand Robert, édité sous une forme plus maniable, était une démarche naturelle.
Le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, on le sait, était un projet original. Paul Robert avait conçu son entreprise comme un mariage de la description alphabétique illustrée par des exemples littéraires — analogue au Littré — et du dictionnaire « analogique » qui regroupe les expressions diverses d'une même « idée »; l'influence d'un ouvrage controversé, La Pensée et la Langue de Ferdinand Brunot, est sans cesse perceptible dans le projet initial du Robert. Ce projet, dont porte témoignage la lettre A du Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, rédigée par Paul Robert, ne se modifia pas fondamentalement, mais il bénéficia par la suite d'influences qui lui donnèrent d'autres dimensions : le perfectionnement de l'analyse des sens, l'apparition des premières attestations datées de l'emploi des mots, la multiplication des exemples d'usage sont observables de volume en volume, avec l'intervention d'une équipe que je fus appelé à diriger en 1956.
Les volumes suivants, rédigés collectivement, marquaient l'approfondissement d'une méthode que, dans les trois derniers volumes, l'équipe rédactionnelle, supervisée par Paul Robert, a tenté de mettre à profit.
Achevé en 1964, ce dictionnaire visait à donner une image plus homogène et plus moderne des vocabulaires et des usages du français. C'est dans cet esprit qu'a été entrepris l'ouvrage actuel, qui est beaucoup plus qu'une réédition augmentée.
À une époque où l'on s'interroge sur le sort du livre de référence imprimé, face aux produits électroniques, l'ouvrage ici présenté propose un texte que l'informatisation intégrale permet de garder vivant et évolutif. Pour la première fois, un dictionnaire de langue conserve fidèlement sa personnalité tout en intégrant les connaissances nouvelles et en épousant l'évolution de son objet, procédure couramment mise en œuvre par les grandes encyclopédies, et ceci depuis le xviiie siècle, notamment avec l'Encyclopœdia Britannica.
Ces modifications, dans le Grand Robert de 1985, concernaient trois axes principaux :
— quant à l'objet décrit, un enrichissement de la nomenclature et des emplois traités, en fonction de l'évolution des vocabulaires et surtout en fonction des besoins nouveaux du public;
— quant aux méthodes employées et aux informations fournies, une prise en compte des importants travaux sur la langue française effectués après 1950;
— quant au contenu même du dictionnaire, une clarté accrue, par l'organisation des articles et la typographie, par le retour à l'ordre alphabétique strict et par une homogénéité plus grande.
En résumé, il s'agissait, tout en gardant la richesse extensive d'information que permet un gros ouvrage, d'améliorer l'homogénéité et l'économie des informations.
Après la parution des 9 grands volumes de 1985, le texte fut entretenu, révisé, parfois corrigé et augmenté, par Danièle Morvan, principale responsable du Robert pour tous. C'est dans ce texte que l'on a intégré de nombreux ajouts destinés à couvrir les évolutions du vocabulaire depuis la fin des années 1980 jusqu'en 2001, ajouts rédigés par Sophie Chantreau et Laurence Laporte.
Entre le gigantisme « philologique » du Trésor de la langue française — qui ne porte que sur le français de 1790 à 1960 —, et l'information trop partielle ou rendue archaïque des autres dictionnaires de langue, nous avons visé la richesse d'information dans l'économie de présentation, la modernité sur fond historique, la simplicité de l'exposé pour maîtriser la complexité des faits décrits; en un mot, la communication d'une image sociale : celle de la culture francophone classique et contemporaine à travers le kaléidoscope des mots.
La tradition du dictionnaire de langue dans la culture française.
Le Robert se situe clairement dans une tradition. Mal connue par rapport à d'autres activités culturelles, jamais enseignée, l'histoire des ouvrages de référence — à l'exception du Dictionnaire critique de Bayle et de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, appréhendés surtout en tant qu'objets littéraires — constitue un domaine immense, dont la connaissance est essentielle dans le tableau idéologique, didactique et éditorial de la France et des pays francophones.
Sans vouloir refaire cette histoire, que des spécialistes ont explorée1, on rappellera simplement quelques faits. Le moyen âge a connu des glossaires, listes de mots commentés, aide-mémoire pour la lecture et maintes encyclopédies, mais non pas de véritable dictionnaire. C'est la Renaissance qui inaugure le genre, sous la forme de Thesaurus bilingues où l'objet à décrire est le grec (Henri Estienne, Thesaurus græcæ linguæ, 1572) et le latin (Robert Estienne, Dictionnaire latin-français et dictionnaire français-latin, 1539), alors que le moyen de description est le français. Dans le même temps, on le sait, des érudits, des humanistes et des poètes, notoirement Du Bellay, célèbrent et étudient le français, qui devient digne de remplacer le latin non seulement dans les usages pratiques de la vie quotidienne, mais dans les fonctions les plus nobles du savoir et de la beauté. Cependant, entre la Deffence et Illustration et les outils de travail qu'elle impliquait, il fallut bien des années, car un lexique et un bon usage ne se fixent, ne se retiennent et ne se transmettent qu'au prix de milliers d'informations qu'il faut rassembler et ordonner. En retard sur l'Italie (Calepino) et sur l'Espagne (Covarrubias), la France ne produit un dictionnaire où le français prend la première place qu'en 1606, avec le Thresor de Jean Nicot, issu d'additions au dictionnaire français-latin de Robert Estienne (1573). Paru après la mort (1600) de son principal auteur — un personnage remarquable, ce seigneur de Villemain, homme d'État, ambassadeur, introducteur en France de « l'herbe à Nicot » ou « nicotiane », c'est-à-dire le tabac —, cet ouvrage est un vrai et riche dictionnaire de notre langue, où le latin sert plutôt de caution que d'objet d'étude. Mais, après ce témoignage tardif de l'esprit humaniste, on sentait le besoin d'un ouvrage purement français et, surtout, pour épouser le mouvement des idées, d'un ouvrage plus normatif, ou peut-être établi selon d'autres normes.
En fondant l'Académie française, Richelieu lui assigna la tâche de produire un dictionnaire ainsi qu'une grammaire. Une longue histoire, faite de retournements politiques, d'hésitations culturelles, de conflits larvés et ouverts conduisit enfin, sous le règne de Louis XIV, à un dictionnaire en 3 volumes qui fut assez fraîchement accueilli malgré ses qualités, recouvertes par des défauts trop visibles. La doctrine académique qui préside au dictionnaire de 1694 est la suivante : définir, par des choix dictés par le bon goût, un usage du français excluant les variétés régionales — surtout méridionales —, les archaïsmes, les vulgarismes, ainsi que les termes « d'art », c'est-à-dire scientifiques et techniques. Même sélection, d'ailleurs sans sévérité excessive, pour la syntaxe, les exemples étant du discours écrit d'allure littéraire, mais non signé : les rédacteurs, étant Académiciens, considéraient qu'ils détenaient le beau parler. Ce dictionnaire fait pour Vaugelas et pour Boileau est aussi un dictionnaire pour Descartes et pour les grammairiens de Port-Royal : on a cherché à y décrire la « raison » des mots, au moyen de regroupements par familles étymologiques et morphologiques manifestant un ordre interne. C'est d'ailleurs cette infraction motivée à l'arrangement alphabétique qui est le plus critiquée : l'Académie l'abandonne dès sa deuxième édition.
Avant ce dictionnaire, avaient paru deux ouvrages importants : celui de Richelet (1680), de dimension modeste (il grossit de réédition en réédition, au xviiie siècle), hâtivement rédigé, mais riche en observations plus brutes sur la langue du temps et rempli d'un matériel savoureux. Bizarrement, Richelet était proche du milieu puriste, alors que l'Académie représentait la doctrine du juste milieu; mais son œuvre, le premier dictionnaire français où le latin ait entièrement disparu, préfère la critique à l'effacement; son caractère primesautier lui confère un grand intérêt pour le lecteur moderne.
Le dictionnaire d'Antoine Furetière vit le jour un an après la mort de son auteur, et quatre ans avant son concurrent académique, en 1690. L'abbé Furetière avait défrayé la chronique par son conflit avec l'Académie, dont il avait pourtant été un membre zélé. Ami de Racine et de Gilles Boileau (le frère de Nicolas), cet homme actif, vif, remuant, souvent hargneux, était littérairement doué : on connaît son Roman bourgeois, mais ses satires, épigrammes, facéties burlesques et sa Nouvelle allégorique méritent aussi l'attention. Il fut souvent calomnié, et il est vrai qu'il détourna à son profit une partie du matériel réuni pour le dictionnaire de l'Académie; mais ce fut pour réaliser un ouvrage d'un tout autre esprit.
Selon nous, le Furetière est de loin le meilleur dictionnaire du français classique. Sa description n'est nullement contradictoire de celle de l'Académie, mais complémentaire. Adepte lui aussi de la norme centrale, du « bon usage », Furetière s'intéresse à la transmission des connaissances autant et plus qu'à la langue. Aussi inclut-il les termes scientifiques et techniques utiles à l'honnête homme, termes qui donnent accès à un savoir alors en pleine mutation : l'algèbre se construit avec Descartes, Harvey vient de découvrir la circulation du sang, etc. Furetière se tient au courant de cette actualité : son discours de lexicographe transmet de manière critique les connaissances « populaires » — qu'il juge souvent comme des superstitions — avec les vocabulaires techniques de son temps. Le regroupement des mots du Furetière, que nous avons publié en annexe de la réédition de son dictionnaire2, est à cet égard révélateur. Bien entendu, ce dictionnaire, comme celui de l'Académie, transmet les idées dominantes du règne de Louis XIV. J'ai montré ailleurs comment l'analyse sémantiquement aberrante du mot roi conduit en ligne directe du « roi des rois » au Roi-Soleil, de Dieu à Louis XIV, faisant ainsi figurer dans la langue une construction idéologique et politique active, la doctrine de la monarchie de droit divin. Furetière, plongé dans son temps et donc témoin irremplaçable pour l'historien, ouvre l'avenir. L'esprit encyclopédiste est en germe dans sa vision, où la description des idées et des réalités du monde l'emporte sur le souci du beau langage, à moins que ce dernier (comme le disent par ailleurs les Messieurs de Port-Royal, Boileau et La Bruyère) ne soit considéré comme une garantie de la qualité de la pensée.
Malgré de multiples différences, le Grand Robert reprend aujourd'hui cette tradition; il s'oppose ainsi au Littré et aux ouvrages purement philologiques.
La lexicographie du xviiie siècle, en France, est dominée par l'Encyclopédie. C'est dire que la description de la langue et de l'usage, ou d'une norme basée sur un usage parisien distingué, cède la place à celle des moyens d'expression des connaissances, des terminologies. Le programme du « dictionnaire de choses » comme l'on dit inexactement, ou plutôt du « dictionnaire raisonné » — titre de l'Encyclopédie — était préparé, on l'a vu, par Furetière. C'est d'ailleurs son dictionnaire, « piraté » par les Jésuites de Trévoux, qui sert de base à la célèbre série des Trévoux, grands dictionnaires encyclopédiques qui s'opposent idéologiquement à l'œuvre de Diderot et d'Alembert, et qui, sans démériter, sont loin d'avoir ses vertus.
Le xviiie siècle voit aussi le développement des dictionnaires de noms propres (issus de Moréri et tributaires de Bayle, qui occupe une place à part) et des dictionnaires spéciaux. Par exemple, un auteur exceptionnellement fécond et parfois génial, l'abbé Prévost, créateur de Manon Lescaut, publie en 1750 un important recueil de néologismes qui dépeint l'évolution du lexique.
À la même époque, un homme de lettres très influent, Samuel Johnson, met au point en Grande-Bretagne un dictionnaire de langue à références littéraires précises, mais cette innovation n'aura pas d'effet immédiat en France.
La prolifération des dictionnaires à partir du début du xixe siècle correspond à une mutation sociale : les besoins didactiques nouveaux, la démocratisation lente et contrariée du savoir, le libéralisme, revers de l'ordre moral de la Restauration, l'évolution de l'édition et du commerce, tout se ligue pour remplacer les vastes synthèses critiques par des ouvrages de taille plus raisonnable (l'immense Encyclopédie méthodique éditée par Panckoucke est à cet égard un anachronisme). Les dictionnaires français, hormis ceux de l'Académie (1787; 1835, mais le complément de cette 6e édition, paru en 1842, est fort extensif), sont alors voués à la description d'un lexique de plus en plus abondant où la désignation des réalités du monde telles que les appréhendent la science et les techniques prend une place écrasante. La description de la langue et des usages, les querelles concernant les normes en souffrent, alors même que le discours est de plus en plus ouvertement pédagogique, avec une intention d'ouverture sociale.
Paraissent alors en France de nombreux dictionnaires, depuis Boiste, auteur d'un remarquable recueil de poche (1800), puis d'ouvrages plus développés mais étonnamment compacts (1839, par exemple) jusqu'à Laveaux, à La Châtre, à Bescherelle (1846). La sociologie de la lecture se modifie alors profondément : un public moins fortuné accède au savoir et les ouvrages de taille modeste s'ajoutent aux grandes collections. En même temps, c'est la course à l'« universalité » : les nomenclatures se gonflent, mais la rigueur de la description, qu'elle soit langagière ou conceptuelle, en souffre considérablement. Parfois, c'est l'idéologie, le plus souvent généreuse, qui l'emporte : Maurice La Châtre, traducteur de Karl Marx, veut, sinon mettre « un bonnet rouge au vieux dictionnaire » (Hugo), du moins démocratiser la maîtrise des mots.
Ce mouvement s'accompagne — mais sans publication notoire en matière de dictionnaires — d'un intérêt pour l'histoire de la langue : le moyen âge n'est pas seulement un « gadget » romantique; les dialectes et les patois sont décrits, notamment par Raynouard, et Godefroy prépare son grand recueil d'ancien français. Enfin, la philologie se développe en France, surtout à propos de discours antiques ou exotiques : vers le milieu du siècle, Champollion, Rémusat, Eugène Burnouf ont déjà étudié les hiéroglyphes, le chinois, le persan avestique. En Allemagne, une science nouvelle, la « linguistique » comme réflexion théorique sur les systèmes des langues et non pas sur leurs produits, prend une place majeure.
Ce tableau complexe engendre, dans les années 1860, deux grands ouvrages qui auront un effet organisateur essentiel en France dans le champ du dictionnaire. D'un côté, la pédagogie démocratique, la terminologie, les connaissances encyclopédiques découpées en tranches fines et mises à la portée d'un large public, sinon du peuple, notion mal définie, c'est Pierre Larousse; de l'autre, la description de la langue moderne dans son épaisseur historique, la construction d'une norme fictive, parce que voulue scientifique, et c'est Émile Littré.
Les deux champions ne combattent pas l'un contre l'autre, mais contre des ennemis différents : tous deux cherchent à vaincre certains préjugés, à recueillir et à transmettre un savoir. Larousse veut rassembler l'ensemble des connaissances, mais aussi susciter les attitudes propres à faire un bon citoyen, dans une démocratie bourgeoise quelque peu positiviste; Littré poursuit un programme destiné à l'« élite savante », et construit un usage choisi, non plus par une autorité, comme au xviie siècle, mais par la raison de l'histoire et la sagesse de la tradition. Il rassemble des discours auxquels le jugement social accorde valeur et légitimité, soit pour décrire un arrière-plan (les « historiques », chapelets d'exemples du xie au xvie siècle), soit pour définir un bon usage garanti par le génie littéraire, de Malherbe à Chateaubriand.
Littré modifie le sentiment de la langue en le fondant sur l'observation très enrichie, très améliorée de l'histoire des discours, produits de cette langue. Mais il crée les conditions de la grande illusion : celle d'un équilibre intangible, d'un sommet d'où l'on ne peut que redescendre et s'avilir. Cette illusion n'est pas le fait d'un esprit passéiste ou entêté, encore moins réactionnaire. Littré n'élimine de son dictionnaire les écrivains qui sont ses contemporains que par prudence, et même par un certain masochisme. Quant à sa méthode lexicographique, elle est pour le moins imparfaite, malgré l'immense culture et les qualités didactiques de l'auteur3.
Émile Littré - Pierre Larousse : deux tendances pour le dictionnaire, deux genres — redisons-le — complémentaires. Toute la lexicographie française est depuis lors articulée par ces deux conceptions. Les dictionnaires encyclopédiques — au premier chef la série des Larousse, depuis 1898 (Nouveau Larousse illustré) jusqu'au Grand Dictionnaire encyclopédique (1983-1984) et à ses successeurs — subordonnent la description de la langue à celle des notions et la classification des sens des mots à celle des domaines du savoir. Dictionnaires avant tout terminologiques, certains pratiquent aussi de manière intéressante et novatrice l'analyse linguistique. Le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle (le « Pierre Larousse ») était déjà plus riche que le Littré en matière phraséologique et pour les nouveautés langagières; naguère, le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse présentait des analyses syntactiques brèves mais pertinentes, par exemple en ce qui concerne les constructions verbales (décrites par Jean Dubois et tributaires des travaux de Maurice Gross).
Quant aux dictionnaires de langue, leur évolution est considérable depuis Littré, mais sans rupture profonde, en ce qui concerne le contenu global. Il faut citer en premier lieu le Dictionnaire général de Hatzfeld, Darmesteter et Thomas, à peine postérieur au Littré, plus bref (donc, moins riche), mais qui manifeste une rigueur d'analyse (Hatzfeld était professeur de philosophie et de logique) et une précision philologique (celle de Darmesteter) très supérieures à celles de Littré. On verra plus loin que les plans d'articles « arborescents », seul moyen de représenter clairement l'articulation sémantique des unités décrites, ont été adoptés par tous les grands dictionnaires de langue, comme ils l'étaient parallèlement dans d'autres traditions, et notamment par le grand dictionnaire allemand des frères Grimm, continué après leur mort, et par l'admirable New English Dictionary publié à Oxford; en France, c'est au Dictionnaire général qu'ils sont redevables.
Entre 1900 et 1952, c'est le désert. Alors que de nombreux pays élaborent ou perfectionnent une description que toutes les civilisations sentent nécessaire, celle du lexique comme moyen d'expression et de communication fondamental, la France ne produit que des encyclopédies et des dictionnaires encyclopédiques. En reprenant le contenu philologique et littéraire de Littré, en adoptant l'organisation du Dictionnaire général, en intégrant l'analyse sémantique des dictionnaires appelés analogiques (Boissière, l'anglais Roget), le projet du Robert renouvelle la tradition. Puis le succès du Petit Robert a dévoilé un véritable besoin. D'autres éditeurs ont suivi le mouvement, avec plus ou moins de bonheur.
Si l'on s'en tient aux grands dictionnaires en plusieurs volumes, incluant une vaste nomenclature, un traitement détaillé de l'usage des mots, et de nombreux exemples de leurs emplois, la langue française dispose aujourd'hui de trois descriptions lexicographiques notables : le Robert, tel qu'il se présente aujourd'hui, le Grand Larousse de la langue française, plus succinct, et le Trésor de la langue française. Ce dernier se borne malgré ses dimensions (16 volumes) à la langue des xixe et xxe siècles; il arrête en général la description — au moins dans ses premiers volumes — à 1950-1960, l'énorme corpus de citations réunies par le C. N. R. S. n'allant pas au-delà. Enfin, le Robert et le TLF donnent lieu à une version informatique intégrale.
Ce type de dictionnaires, aujourd'hui, ne peut être qu'un travail d'amateur ou une réalisation collective. Il va sans dire que le Robert est du second type. Comme les encyclopédies, et quelles que soient les personnalités qui les prennent en charge et les dirigent, les dictionnaires procèdent d'un énorme effort d'équipe, et celui-ci s'appuie sur une tradition collective, ancienne et riche. Ces ouvrages nécessitent un double effort, d'harmonisation et d'unité, certes, mais aussi d'enrichissement dans la variété. Ainsi, une équipe de rédactrices et de rédacteurs, de réviseuses et de réviseurs, n'apporte pas seulement des connaissances et des compétences, mais encore des ouvertures sur l'objet même du travail de description. Cet objet n'est pas, ne doit pas être une abstraction figée (la « langue », le « français »), mais un ensemble d'usages sociaux — dans le temps, dans l'espace, dans la réalité humaine —, usages variés et dont la variété reflète celle des groupes sociaux. Ces usages du français sont engagés à la fois dans des conflits et dans un processus de représentation organisé, unifiant, un processus de normalisation. Si chaque membre d'une équipe lexicographique est contraint par la conception générale de l'œuvre, qui garantit son unité et son efficacité, il apporte sa propre attitude vis-à-vis de la langue, il représente préférentiellement un usage parmi les usages, une norme parmi les normes. D'où l'avantage évident d'une équipe variée, formée de bons témoins, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, représentants de régions diverses — en France et hors de France —, de formations humaines et intellectuelles différentes. Cette variété n'est jamais assez grande; en percevoir la nécessité est déjà un progrès. On imagine sans peine, dans un ouvrage qui tente de refléter toute la tradition littéraire « francographe » jusqu'à nos jours, quel peut être l'apport de goûts et de sensibilités pluriels. Il en va de même pour la tâche des documentalistes, tâche primordiale d'observation et de sélection, aujourd'hui assistés par l'informatique et par Internet.
Mais, pour unifier ces tendances représentatives de la richesse culturelle « en français », pour élaborer à partir d'elles un texte clair, homogène, d'utilisation aisée, d'autres contributions sont nécessaires. Celle d'un responsable centralisateur et quelque peu « modérateur » ne suffit pas. Il faut indispensablement celle d'un secrétariat, d'équipes chargées de l'établissement de la copie, des références bibliographiques et des relations avec l'atelier de composition, d'un vaste service de relecture d'épreuves, etc. Le lecteur doit savoir que, s'il relève des imperfections, il s'agit du résidu des inévitables erreurs produites par une chaîne complexe d'opérations de transfert d'information. Et plus la matière est riche, variée, plus la mise en forme doit être unifiée et contrôlée. On trouvera en tête d'ouvrage la liste des principaux responsables de ce texte, dans ses états successifs, et le signataire de cette introduction se plaît à leur rendre un particulier hommage.
II. Nature et caractères du Grand Robert de la langue française.
La nomenclature.
Un dictionnaire, pour décrire les usages de la langue, ou du moins ceux qu'il retient, doit construire une liste de formes, couramment désignées comme « les mots du dictionnaire » et techniquement dites « entrées ». Ces entrées constituent une nomenclature, présentée en général dans un ordre formel, strictement alphabétique ou rompu par des regroupements morphologiques (« familles de mots »).
Le Grand Robert présente une nomenclature de plus de 75 000 entrées. Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler comment sont choisies ces entrées. Un lexique est un ensemble très complexe, formé de différentes couches d'importance inégale. Les unités de ce lexique — mots et assemblages de mots — sont disponibles pour former des énoncés, des phrases du discours; dans les énoncés effectivement produits — par exemple, dans la totalité des phrases prononcées et écrites en français au cours d'une journée —, on retrouve ces mots actualisés au moyen d'un ensemble de règles, d'une grammaire. Chacun de ces mots possède une fréquence. Mais les fréquences réelles sont à jamais inconnues : ce que l'on connaît, c'est une fréquence relative à l'intérieur d'un ensemble de discours servant d'échantillon, et qu'on appelle un corpus. On considérera pour le français plusieurs zones concentriques dont la plus centrale est formée des mots les plus indispensables, les plus disponibles — les enfants et les étrangers qui apprennent la langue doivent d'abord les acquérir —, et aussi les plus fréquents. L'important travail du Français fondamental, basé sur une vaste enquête, contient 1 063 mots, le Dictionnaire élémentaire de Georges Gougenheim qui en est issu en comporte 3 000, censés correspondre aux plus fréquents et aux plus « disponibles » en français actuel. Ce petit nombre d'entrées correspond aux mots grammaticaux (articles, pronoms, prépositions…), qui sont indispensables à la formation du discours, et à un stock minimal de verbes, substantifs, adjectifs et adverbes très usuels. Dans un dictionnaire extensif, ces mots donnent matière à un traitement développé; ils ont de nombreux sens et emplois, sont illustrés par une grande quantité d'exemples : les « mots-outils » (dont, que, qui, pour…), les verbes faire, passer, aller, les substantifs femme, main, liberté, les adjectifs grand, petit, beau… en font partie.
La zone suivante, qui ajoute à ces 3 000 entités une dizaine de milliers d'unités, correspond à la « compétence » réelle d'un adulte : le mythe selon lequel certains Français n'emploieraient que 2 000 à 3 000 mots repose sur de nombreuses confusions et n'est entretenu que par les préjugés. Ce n'est pas un hasard si les dictionnaires pour enfants possèdent de deux ou trois mille à vingt mille « mots », ce qui correspond aux besoins de la classe, entre huit et quatorze ans, selon l'idée de la pédagogie que se fait notre société4. Bien entendu, ces nomenclatures de dictionnaires ne coïncident pas avec l'usage réel des enfants auxquels ils s'adressent : de nombreux mots qui y figurent sont pratiquement lettre morte dans le discours spontané; d'autres, d'un emploi fréquent — les « mots de la tribu », famille, lycée, etc., et bien entendu les « gros mots » et termes à la mode — sont pour partie exclus des nomenclatures.
Un cran plus haut dans la description, se trouve une nomenclature normative et générale, qu'illustre bien le Dictionnaire de l'Académie française : elle représente de 25 000 à 30 000 unités. À partir de ces chiffres, on entre soit dans le domaine des vocabulaires spéciaux, soit dans l'univers des mots rares, pour une raison ou pour une autre : archaïsmes, usages littéraires ou poétiques, termes propres à un milieu, etc. Les dictionnaires généraux de langue française, lorsqu'ils intègrent ces éléments, atteignent de 40 000 à 70 000 « entrées », selon leurs dimensions et selon les options.
La nomenclature du Grand Robert, qui dépasse ces chiffres, mais n'atteint pas — tout à fait délibérément — ceux des plus vastes encyclopédies, lesquelles sont gonflées par les nomenclatures des sciences naturelles et les terminologies, techniques ou autres, est soumise à une conception précise des besoins de l'utilisateur. Celui-ci, que le français soit pour lui langue maternelle ou langue étrangère bien maîtrisée, doit pouvoir trouver dans son dictionnaire la totalité des mots de la conversation courante, la quasi-totalité de ceux qui sont employés dans un périodique général d'information, et une grande partie de ceux que l'on trouve dans les textes littéraires effectivement lus ou écoutés. Dans la situation culturelle du français, ceci rend nécessaire la description de la partie du vocabulaire classique que l'on trouve dans les pièces de Corneille, Molière ou Racine, dans les romans de Mme de La Fayette ou dans les lettres de Mme de Sévigné; bien entendu, les auteurs du xviiie siècle sont à considérer aussi pour définir cette langue classique. Avec le xixe siècle et le romantisme, on entre dans la langue « moderne » : le nombre de mots s'accroît avec la variété des thèmes littéraires et avec la prise en charge par l'écrivain de la diversité des usages sociaux; le mouvement s'accentue au xxe siècle : sans anticiper sur la question de la représentativité du discours littéraire — essentielle pour ce type de dictionnaire —, on peut déjà noter que la lecture de Céline ou de Queneau exige la connaissance de nombreux mots dits « populaires » ou « familiers ».
Les régionalismes.
À la variété des signes selon les usages sociaux s'ajoute leur variété géographique, en général appréhendée sous l'étiquette de « régionalisme ». Sur ce plan, le Grand Robert, après plusieurs dictionnaires français, tente de faire évoluer la description. Il inclut non seulement des régionalismes de France, mais aussi des mots du terroir employés en Belgique, en Suisse, au Québec, ainsi que des termes ou des sens institutionnels et propres aux États. Les premiers ignorent les frontières politiques : ainsi, une bonne part des helvétismes a cours en Savoie, en Dauphiné ou même dans la région lyonnaise, qui appartiennent au domaine franco-provençal. Les seconds sont indispensables si l'on veut éviter les contresens et les ambiguïtés, d'autant qu'il ne s'agit pas seulement de formes nouvelles (comme gouvernance, terme créé par L. S. Senghor au Sénégal), mais de sens différents (échevin, archaïsme historique en France, est vivant et administratif en Belgique; cantonal a un tout autre sens en Suisse et en France, ainsi que bourgeoisie…).
Cette ouverture sur les usages géographiques du français hors de France est indispensable si l'on prétend décrire « le français », comme est indispensable l'inclusion des régionalismes de France même; bagad ou bigouden (emprunts au breton), sont des mots originaux dans une description générale et peu de dictionnaires français les enregistrent, alors que bombarde ou gavotte ont en français de Bretagne un tout autre sens que dans d'autres usages. Le choix de ces termes, étrangers à la norme « centrale » du français, est délicat. Deux principes ont commandé la sélection : celui de la représentativité et celui de l'intérêt socio-culturel. Ainsi, les helvétismes retenus dans le dictionnaire sont en usage dans la plupart des cantons de Suisse romande, sinon dans tous; un mot en usage seulement à Genève, dans le Vaudois ou à Neuchâtel n'est pas retenu. Même principe pour les africanismes : les mots ou acceptions de l'Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire (publié par l'Association des Universités partiellement ou entièrement de langue française : A. U. P. E. L. F.) qui sont signalés comme employés dans quatre ou cinq pays, sont traités (ex. : banco, solde 4. [« salaire »], toubab), alors que les « sénégalismes » ou « ivoirismes » spécifiques ne le sont pas, à l'exception de certains termes institutionnels. Enfin, pour les civilisations non françaises, leurs ressortissants, chaque fois que cela a été possible, ont présidé à cette sélection.
Alors que les dialectes et patois font l'objet de nombreux et remarquables travaux, les régionalismes de France sont assez mal traités dans les dictionnaires généraux du français : nous espérons avoir fait un premier pas vers l'amélioration de cette situation grâce aux nombreux travaux régionalistes des dernières décennies5. Elle ne provient pas d'un hasard, et correspond à la centralisation très puissante de la vie sociale et culturelle en France. La norme linguistique y est conçue comme centrée — sinon, ce qui est pire, comme parisienne —, et les régionalismes, entre le « bon français » estampillé par l'institution pédagogique et les langues et dialectes régionaux, qui s'affirment souvent en s'opposant en bloc au « français », sont en mauvaise posture. Nombreux, cependant, sont ceux qui se diffusent : le domaine culinaire et gastronomique en est un bon témoin, et les magrets, pistous, gougères et autres tripoux — après les quiches et les bouillabaisses complètement acclimatées — marquent la vitalité de l'apport régional au patrimoine lexical français. Y ajouter dans le dictionnaire le solilem et le kouglof alsaciens, le ragoût de pattes de cochon et la tourtière du Québec, le biscôme et les röstis suisses, la raclette suisse et savoyarde, le filet américain ou le cannibale belges (qui équivalent au steak tartare de France), c'est, nous le pensons, faire œuvre pie. Il s'agit là de véritables emprunts, et ce domaine est lui aussi très sensible aux variations, et sujet aux enrichissements.
Les emprunts.
En effet, à part les emprunts dits « de luxe » — qu'on pourrait souvent appeler « de snobisme » — lesquels expriment de manière exotique des réalités qui n'en avaient pas besoin, étant déjà désignées par des mots français, il existe de nombreux emprunts nécessaires, qui correspondent à des faits de civilisation intraduisibles — ou mal traduits. Ainsi, avec la vogue internationale du Japon, qui a attiré l'attention occidentale — judo et karaté aidant — sur une des plus riches cultures d'Asie, un certain nombre de mots sans équivalents ont été empruntés : ils concernent, par exemple, les arts martiaux, on vient de le voir, mais aussi la musique et l'art (biwa), l'histoire (bakufu), le vêtement (obi), la nourriture (sashimi, tempura), etc. Un tour du monde lexical des désignations propres à chaque culture enrichirait sans aucun doute les dictionnaires de chaque langue désireuse d'exprimer ces réalités. De l'emprunt bien intégré au terme étranger simplement cité, que certains linguistes appellent « xénisme », il existe toute une gamme de mots, qui donnent à la fois la couleur locale aux récits, aux reportages, et l'exactitude conceptuelle aux études. Parmi ces termes, il faut choisir. La sélection du Grand Robert est large et riche, mais tient compte de l'usage effectif des mots dans les communautés francophones; ne sont retenus que ceux qui sont employés dans le discours littéraire, savant ou journalistique de manière normale et, en pratique, les termes attestés par plusieurs sources dignes d'intérêt. Parmi ces emprunts, certains proviennent, d'ailleurs, de pays entièrement ou partiellement francophones (ex. inuit, au Canada; balafon, en Afrique).
Pour une catégorie d'emprunts particulièrement — excessivement — abondante, les anglicismes, on a suivi, comme dans le Dictionnaire des anglicismes de J. Rey-Debove et G. Gagnon, une politique d'objectivité, en distinguant simplement les emprunts bien intégrés — et souvent inaperçus — tels bifteck, rail ou tunnel, ou bien sentimental, mot « inventé » par le génial Sterne —, qui sont traités sans autre commentaire, des innombrables emprunts récents ou mal intégrés, et qui sont alors qualifiés d'« anglicismes » (abrégé en anglic.). Cette « marque » signifie que ces mots ne sont pas unanimement acceptés et font parfois l'objet d'une décision officielle de francisation — qui est signalée. À noter qu'« anglicisme » concerne la langue et non pas la civilisation d'origine, et inclut l'américanisme, l'origine « états-unienne » étant éventuellement précisée dans l'étymologie. Un autre enrichissement de la nomenclature, qui conduirait à un nombre d'entrées astronomique, concerne les classifications des sciences naturelles, la terminologie chimique et les terminologies techniques. C'est dans ces domaines que le dictionnaire de langue doit effectuer une sélection sévère, sous peine d'assommer son lecteur de mots et d'expressions (ou syntagmes) désignant des réalités qui ne sont nommées que dans des activités hyperspécialisées de la connaissance. Au contraire, les vocabulaires nécessaires à la pédagogie des sciences et des techniques, ceux qui se diffusent par les médias et sont en contact avec le public (le cas des termes médicaux et pharmaceutiques est significatif) méritent d'être retenus dans un dictionnaire extensif de la langue. Ils sont très nombreux dans le Grand Robert; si l'on tient compte du fait que de nombreux termes ne sont pas des mots simples, mais des « syntagmes » — et ceci est vrai de bien des « mots » courants : grand ensemble est traité à part —, les nomenclatures deviennent plus impressionnantes. Ce n'est plus de 70 000 à 80 000 entrées qu'il faut parler, mais de 500 000 « termes » au moins. Ainsi, pour en finir avec ce sujet, on remarquera que la course au plus grand nombre d'entrées — que pratiquaient avec ardeur les lexicographes entre 1850 et 1900 — n'a pas de sens en soi. Chaque nomenclature dépend de la structure des dictionnaires : ceux qui « dégroupent » les mots en plusieurs entrées synonymes, ceux qui — comme l'excellent Webster américain — donnent en entrées des syntagmes, en plus des mots simples, atteignent évidemment, à contenu égal, des chiffres plus spectaculaires; il ne faut pas que l'utilisateur s'y laisse prendre. La manière de compter est responsable de maintes légendes, comme celle qui attribue au vocabulaire anglais une plus grande richesse qu'au français : ce n'est vrai qu'en « entrées » de dictionnaire.
Organisation matérielle de la nomenclature.
Cette masse de rubriques, correspondant chacune à une forme lexicale distincte : nom, adjectif, verbe, etc., peut être rangée soit par ordre alphabétique strict, soit par regroupements (par racines; ou par le sens : dictionnaires analogiques). L'abondant système de renvois internes qui caractérise les dictionnaires Robert nous a incités, pour améliorer la facilité de consultation, à alphabétiser exactement tous les mots traités. Dans le cas de mots homographes sous leur forme de présentation6, ils sont numérotés et leur numéro est rappelé dans les renvois (ex. 1. solde, 2. solde; 1. solder, 2. solder; 1. voler, 2. voler, etc.).
La valeur d'une nomenclature de dictionnaire ne dépend pas de son importance quantitative, mais de la fonction qu'elle peut remplir auprès de ses lecteurs. On peut se demander qui aurait réellement besoin d'une addition de toutes les langues de spécialités, réunies en une collection qui ne pourrait être que gigantesque et dont la plus grande partie ne serait jamais consultée7. Il semble bien que toute personne désireuse de connaître, par exemple, le vocabulaire de la médecine et de la biologie dans sa quasi-intégralité, se servira de dictionnaires spéciaux. Ce qui intéressera l'utilisateur d'un dictionnaire général, même très extensif, ce sera un extrait pertinent de ce vocabulaire, tenant compte de la diffusion sociale des mots.
Quant aux chiffres avancés par la publicité des dictionnaires, on les considérera avec prudence : tel ouvrage qui s'enorgueillit d'un nombre de « mots » supérieur à celui de ses concurrents devra cet avantage apparent à des raisons purement formelles (mots dégroupés, syntagmes extraits et comptés pour un mot, alors que de nombreux adjectifs participiaux seront, au contraire, non comptés par tel autre dictionnaire parce qu'ils y sont décrits sous les verbes correspondants…). Dans le cas même où des informations supplémentaires sont effectivement incluses, il faut s'interroger sur leur intérêt, et cet intérêt est variable selon les utilisateurs. Multiplier les archaïsmes tirés d'anciens dictionnaires, les formes rarissimes que l'on trouve au hasard d'un seul texte (d'ailleurs remarquables si le texte en question est de Rimbaud (abracadabrantesque) ou de Mallarmé (ptyx), mais moins passionnantes s'il s'agit d'un obscur symboliste), empiéter sur des domaines habituellement extérieurs à celui du dictionnaire de langue (noms ethniques facilement multipliables, nomenclatures d'histoire naturelle ou de chimie…) n'a de sens que si la taille du dictionnaire l'autorise, que si tous les emplois plus fréquents ont été correctement décrits et que si les ajouts sont convenablement équilibrés entre eux et avec le reste de la nomenclature. Tel n'est pas toujours le cas… Le seul inconvénient de ce classement formel, partiellement arbitraire mais si commode, que permet l'alphabet, est de rompre les relations de forme (morphologie) et de sens qui permettent de mieux comprendre le fonctionnement du lexique; mais les renvois systématiques aux dérivés et composés, aux synonymes et aux contraires, aux mots liés par une communauté sémantique, éliminent en grande partie cet inconvénient. C'est pourquoi, renonçant à des regroupements qui conduisent trop souvent à sacrifier les dérivés et composés par rapport aux mots-racines, le Grand Robert respecte la présentation alphabétique stricte : aucune forme n'est alors privilégiée par rapport aux autres — comme l'est le mot-souche par rapport aux dérivés et composés, dans les dictionnaires à regroupements — si ce n'est par les deux facteurs qui doivent en effet la privilégier : la fréquence d'usage et l'intérêt conceptuel ou culturel du signifié.
La fréquence.
Quant à l'organisation possible de cette vaste nomenclature, elle peut se concevoir selon de nombreux axes différents. Les mots appartiennent, dans l'usage actuel, à différents niveaux statistiques de fréquence, mais cette fréquence n'est pas une information très sérieuse quant à l'ensemble du lexique. Les listes publiées pour le français correspondent au dépouillement de corpus plus ou moins représentatifs : la plus importante information de ce type, qui rend et rendra de grands services aux chercheurs, est contenue dans le matériel de l'Institut national de la langue française (INALF) et dans les études qui s'appuient sur cette information (Étienne Brunet, Le Vocabulaire français de 1789 à nos jours, d'après les données du Trésor de la langue française, Genève-Paris, Slatkine, Champion, 1981, 3 vol.); mais ces données ne concernent guère qu'un ensemble d'usages littéraires et didactiques, à l'intérieur de la langue écrite et cultivée. Dans un dictionnaire général, indiquer des fréquences, même celles du français fondamental, n'aurait pour résultat que de donner au lecteur une fausse impression de scientificité, de rigueur mathématique, dans un domaine où règne l'arbitraire des collections philologiques (qu'il s'agisse de textes littéraires, non littéraires ou d'enregistrements oraux). Si le dictionnaire, selon nous, ne décrit pas abstraitement la langue, mais les usages de cette langue, il n'est pas fait, en revanche, pour décrire seulement un ensemble de « discours », aussi large soit-il. Voilà pourquoi on ne trouvera pas ici d'informations chiffrées. Mais la fréquence des mots est en général impliquée par l'importance de leur traitement : le nombre de sens et de nuances, le nombre d'exemples et de citations, surtout, donnera une idée assez exacte, non pas seulement de la fréquence, mais de l'importance, du « poids » langagier et culturel de chaque mot. Ceci n'est possible que dans la mesure où nous sommes parvenus à calibrer de manière satisfaisante cet ouvrage, ce qui n'est pas aisé. En effet, peu de dictionnaires sont convenablement équilibrés8. L'intuition est ici appuyée sur une importante documentation, sur une grande tradition lexicographique — et sur l'expérience des rédacteurs de l'ouvrage.
Plus pertinent que le niveau statistique, donc, le niveau d'usage, ici repéré par un système — on l'a voulu simple — de « marques », sur lequel on reviendra plus loin.
Les informations : la forme.
La première information que donne une entrée de dictionnaire est l'arrangement formel des lettres, la graphie. Celle-ci n'est pas une donnée évidente : certes, pour les mots courants, la norme moderne est stable et simple. Mais déjà, à l'exception des mots invariables, il faut choisir une forme parmi d'autres pour servir d'entrée. Les noms substantifs sont au singulier; les adjectifs au masculin singulier, et les verbes à l'infinitif (alors que les dictionnaires grecs et latins les donnent à la première personne de l'indicatif présent). Bien qu'on soit conscient des implications de ces choix (le verbe à l'infinitif est sournoisement nominalisé, par un substantialisme inconscient), on n'a pas voulu bouleverser des habitudes de consultation bien établies. Or, les pluriels, les féminins singuliers et pluriels, et surtout les formes des verbes peuvent faire problème : ces problèmes sont soit résolus explicitement (féminins et pluriels donnés en entrée; ex. animateur, trice; antérieur, eure; cheval, aux; pluriels irréguliers et pluriels des noms composés donnés en exemples; ex. à bain-marie : des bains-marie), soit explicités par renvois (conjugaison des verbes renvoyant à des modèles repris dans des tableaux en fin d'ouvrage, ex. balancer : conjug. placer; seuls les verbes les plus irréguliers sont conjugués en leur lieu).
Le problème des formes féminines des noms revêt une particulière importance pour les noms d'« êtres animés ». La femelle de l'espèce lion, tigre, éléphant a bien une désignation : lionne, tigresse, éléphante, mais ces formes n'ont pas le même statut que le masculin; pour l'espèce rat ou souris, la question est plus délicate encore, et il faut noter que les mâles des espèces désignées par des noms féminins : souris, grenouille, etc., n'ont pas de désignation propre : la langue française n'est pas toujours sexiste dans le même (mauvais) esprit antiféministe…
Ceci nous conduit aux féminins des noms désignant des êtres humains. Là aussi, il faut noter qu'une sentinelle est le plus souvent un homme. Mais le cas inverse est infiniment plus fréquent ! Traditionnellement, pour de nombreux noms de métiers, de fonctions, les dictionnaires (avec l'usage) ne connaissent que la forme masculine. Avec le changement positif du statut de la femme dans nos sociétés, les dictionnaires ont changé. Ainsi biochimiste ou ministre par exemple, n'est plus n(om) m(asculin), mais n(om), ce qui permet de dire et d'écrire normalement une biochimiste, une ministre… Mais, là comme ailleurs, les résistances, les ambiguïtés et les incohérences de l'usage rendent la description difficile.
De nombreuses femmes se disent avocat (alors que la forme avocate existe) ou docteur (alors que doctoresse est parfaitement attesté) : il fallait décrire les deux possibilités et commenter la situation de l'usage réel. Dans d'autres cas, le féminin est facile à former, mais n'est pas (à notre connaissance) attesté : alors, pour éviter la « linguistique-fiction », nous avons opté pour la formule : « le féminin est virtuel »; cette virtualité peut se réaliser d'un moment à l'autre. C'est notamment le cas des métiers de l'industrie. Ainsi de bitumier, ouvrier des bitumes, qui forme naturellement bitumière, comme plombier rend possible plombière — que nous avons d'ailleurs relevé dans notre documentation. Les homonymies évoquées pour refuser certains féminins sont d'ailleurs inégalement actives : le fait qu'un entremets glacé se nomme plombières ne saurait rendre inacceptable le féminin de plombier, puisqu'une cuisinière, en français, peut aussi bien être dite électrique que timide, à gaz qu'à cheveux blonds.
Un autre problème se pose : l'orthographe (la « bonne graphie ») du français est capricieuse; les variantes et les irrégularités sont nombreuses. En principe, l'orthographe du dictionnaire de l'Académie fait foi : mais on a pu montrer9 que ses solutions étaient peu cohérentes. La politique suivie a été celle d'une simplification; seules les variantes courantes sont signalées en entrée, quitte à mentionner dans le corps de l'article celles qui sont attestées chez de bons écrivains.
On a tenu compte des décisions de l'Académie, décisions qui ne seront entérinées que dans sa 9e édition, en (long) cours de publication. Ainsi, le mot événement qu'une tradition têtue note avec deux accents aigus — alors que le second e est ouvert — peut maintenant, selon l'Académie elle-même, être écrit évènement; bien entendu, les exemples littéraires portent normalement l'ancienne graphie, mais cette nouvelle possibilité orthographique, plus logique, doit être signalée. Il en va de même pour chausse-trape, qui peut — et même doit — s'écrire chausse-trappe, comme trappe. Devant l'échec des projets de réforme, on ne peut que refléter les modifications effectivement entrées dans l'usage (par exemple sur le pluriel des composés, certains accents).
Certains conflits inévitables apparaissent entre la tendance souhaitable à la simplification et la tradition. Ainsi, les composés formés sur des préfixes savants (bio-, chrono-…) devraient ne garder une division (un « trait d'union ») que si le second élément commence par une voyelle; et, même dans ce cas, la tendance est à écrire le mot de manière ininterrompue, mais on rencontre souvent la graphie en deux éléments et l'usage hésite. Ainsi, pour bioélectrique, bioélectricité, bioénergie, les entrées sont écrites soudées, avec la précision suivante : « on écrit souvent bio-énergie », notre documentation étant chiche en attestations de la graphie bioénergie, forme plus cohérente par rapport aux précédentes. Si deux variantes sont également attestées et également « normales », elles peuvent être signalées toutes deux en entrée (par ex. birth(-)control, qui doit se lire : birth control ou birth-control). Ainsi, dans un tout autre domaine, on admet bistro ou bistrot, aucune autorité n'ayant tranché sur ce point et l'usage ne se décidant pas clairement.
Cependant, d'une manière générale, on a réduit le nombre des entrées multiples, ainsi que celui des variantes. Encore fallait-il que l'une de ces formes paraisse nettement préférée ou préférable.
À la graphie est jointe une information systématique sur la prononciation, donnée selon la transcription de l'A.P.I. (Association phonétique internationale). Là aussi, on a recherché la précision et la simplicité. La notation phonétique internationale permet la précision, en notant le timbre des voyelles et l'articulation des consonnes. Mais les spécialistes et toutes les personnes douées d'une bonne oreille le savent, les prononciations individuelles et celles des usages régionaux sont diverses : la moitié du territoire français ou presque — le domaine occitan — prononce des e qui sont caducs dans la partie nord de la France; des e et des o, ouverts là, sont fermés ailleurs; certains différencient brun et brin, d'autres non.
Dans la plupart des cas, le dictionnaire donne la prononciation la plus « normale », et cette norme correspond à un usage urbain « cultivé » (d'aucuns disent « bourgeois ») de l'Île-de-France — et certes pas aux prononciations parisiennes, avec leurs variantes faubouriennes ou snobs si fortement marquées. De même, sont signalées les prononciations traditionnelles recommandées mais en voie de disparition (dompter et dompteur sans [p] comme compter; arguer avec un [P] comme tuer; quadragénaire commençant par [kwa] et non par [ka], etc.), quitte à donner aussi la variante « familière » ou « relâchée » quand elle nous a semblé l'emporter. Il ne s'agit pas là de laxisme, mais de véracité dans l'observation.
Les utilisateurs du dictionnaire dont le français n'est pas la langue maternelle ont évidemment besoin de ces informations. Quant aux lecteurs français et francophones, ils constateront sans doute que les mots qui posent un problème de prononciation sont plus nombreux qu'on ne pense. En particulier, l'appauvrissement du système phonétique chez de nombreux locuteurs (confusion de a antérieur et de a postérieur, de o ouvert et de o fermé), et les flottements (présence ou absence du e : renseign'ment ou renseignement ?) rendent une norme phonétique nécessaire.
Certes, chaque usage régional — ou social — en produirait une autre, légèrement ou plus profondément différente; le choix du Robert n'est pas un jugement de valeur hiérarchique, mais la proposition d'un étalon neutre, et partout acceptable. Il ne pouvait être question dans un dictionnaire de ce type d'enregistrer — il n'existe d'ailleurs aucune description générale qui le fasse — les prononciations du français dominantes à Toulouse, à Strasbourg, à Bruxelles, à Lausanne ou au Québec; mais leur existence objective, à côté des formes « canoniques », ne doit pas être oubliée ou niée. Enfin, la phonologie du français évolue et une étude historique ou de tendance n'est pas à la portée des dictionnaires. Mais le lexicographe se doit d'en être conscient, et de saluer les travaux des spécialistes10.
Si le dictionnaire choisit de réduire les variantes pour proposer une seule norme par unité traitée, il doit pourtant quelquefois mentionner deux variantes de prononciation. Comme pour l'orthographe, il s'agit de cas où ni l'usage ni la norme ne permettent de trancher. Ainsi, août se prononce le plus souvent avec le t final mais aussi sans ce t; il ne se prononce jamais comme il s'écrit. En revanche, aoûter et aoûtage se prononcent plus souvent a-ou [aute], [autaF] que ou [ute], [utaF], ce dernier usage étant pourtant plus « correct ». Le plus souvent, on a choisi — notamment à l'intention des étrangers — une seule prononciation, à la fois courante et correcte. Le lecteur trouvera plus loin l'exposé des principes qui ont précisément guidé notre transcription phonétique.
Immédiatement après la prononciation, notée entre crochets, on trouvera, comme dans tout dictionnaire de langue, une abréviation concernant la fonction grammaticale du mot. Pour la caractériser, on a eu recours à des catégories traditionnelles et bien connues. Mais, pour évidente qu'elle paraisse, cette information pose déjà bien des problèmes. En règle générale, seules sont mentionnées initialement les fonctions essentielles de chaque mot. Au contraire, les fonctions secondaires — celle d'un adjectif substantivé, qui devient nom, d'un verbe au participe passé, qui devient adjectif, ou encore la valeur adverbiale, prépositionnelle d'une locution formée avec un substantif — sont indiquées au cours de l'article, en leur lieu et place.
Indiquons dès maintenant les problèmes syntaxiques les plus fréquents : pour les noms, les emplois adjectifs ou quasi adjectifs (une jupe abricot), pour les adjectifs, les substantivations (un beau [adj.] vieillard, un vieux beau [n. m.]); pour les verbes, les fonctions transitive (directe et indirecte), pronominale, intransitive, passive et participiale, l'adjectivation et la substantivation des participes. Les verbes pronominaux, les participes passés adjectivables font notamment l'objet de véritables sous-entrées dans les verbes. Mais, entre un verbe passif (traité normalement à l'intérieur du transitif), un participe passé de nature verbale, et un autre de nature adjective, la transition est continue. Enfin, certains participes passés se détachent littéralement de leur origine verbale et deviennent des adjectifs très autonomes (ex. distingué, ée). Le cas est plus net encore avec les participes présents devenus adjectifs, plus souvent traités à leur ordre alphabétique — comme des dérivés du verbe — qu'à l'intérieur de ce verbe, en sous-rubrique (dans ce cas, un renvoi éclaire le lecteur). Un certain arbitraire règne dans ce domaine; l'abandonner pour une solution tranchée et unique serait donner une image fictivement simple d'une réalité nuancée.
L'organisation interne des articles et la typographie orienteront le lecteur dans ce dédale, bien connu des syntacticiens, mais déconcertant pour l'utilisateur non spécialiste. Ce dernier a droit à une description claire, et on doit reconnaître que la tradition grammaticale ne l'est pas toujours. On a tenu compte ici des procédés de la linguistique moderne, mais sans jamais bouleverser les habitudes de désignation et de classement.
Quant à la typographie de cette édition, elle repose sur un principe simple : faire correspondre à chaque type principal d'informations un caractère d'imprimerie reconnaissable. Le dictionnaire, outre les formes présentées en entrées (ici en capitales grasses), contient trois textes très distincts : 1o) les équivalences synonymiques servant d'explications, de gloses, notamment les définitions; 2o) l'ensemble des extraits de discours, d'énoncés formant l'objet même de la description et illustrant l'emploi des mots : exemples et citations; 3o) les informations concernant la langue et les usages : étymologies et données historiques, remarques grammaticales, etc. : pour employer le terme technique, l'information métalinguistique. Typographiquement, les données du premier genre, notamment les définitions, sont en romain, dans un caractère appelé times; les exemples, dans le même times, mais en italique et, pour les citations littéraires et didactiques numérotées, dans un corps plus petit, et sous une présentation très distincte; enfin, les informations du troisième genre se présentent dans un autre caractère. Ainsi, les étymologies, les datations, les marques d'usage caractérisant les emplois, les remarques et commentaires, c'est-à-dire le métalangage de description, est présenté sous une autre apparence matérielle que les définitions et les exemples, eux-même typographiquement distincts. Cette innovation technique n'a pas été adoptée pour des raisons seulement esthétiques, ni même théoriques, mais bien pour la commodité d'emploi du dictionnaire, et pour améliorer le « confort optique » du lecteur. Enfin, la disposition en paragraphes, les nombreux passages à la ligne, tout en aérant le texte, contribuent à l'analyse linguistique elle-même et sont destinés à faciliter la consultation.
Les informations historiques : étymologies et datations.
L'usage contemporain est le résultat d'une longue et constante évolution historique. Sa description ne peut être « synchronique » que si elle renonce à expliquer les formes et les usages d'autrefois, abandonnant tous ceux qui ont encore une vie sociale, il est vrai surtout passive : les comédiens disent Molière, les spectateurs reçoivent ce message, reflet d'un code périmé, le français du xviie siècle, mais nul ne parle au xxe siècle comme les personnages de Molière. Or, on lit encore, et c'est heureux, La Fontaine et Diderot, Pascal et Montaigne, on lit ou on écoute — au théâtre, à la radio, à la télévision — Molière et Racine, Marivaux et Beaumarchais…, et ces lectures, ces auditions posent de nombreux problèmes de compréhension, qu'un grand dictionnaire doit résoudre alors même qu'il s'agit de mots et de sens n'appartenant plus à l'expression contemporaine. En outre, la langue contemporaine elle-même, par des locutions, des proverbes, des citations, conserve des termes qui sont par ailleurs complètement archaïques : maille dans n'avoir ni sou ni maille, le sens originel de antan dans « les neiges d'antan », celui de demeure dans il n'y a pas péril en la demeure.
Alors même que cet ouvrage n'est pas un conservatoire de la totalité des mots français dans le temps, qu'il n'est pas un dictionnaire intégralement historique11, il traite historiquement les mots et les emplois aujourd'hui vivants ou conservés par les textes.
L'étymologie.
Et cela commence par l'étymologie et les dates d'apparition des mots. L'étymologie, disait Jean Paulhan, « fait sa propre réclame ». En effet, le mot étymologie vient du grec par le latin, et, en grec, il désigne la « parole-raison vraie », le logos (parole, discours, mais aussi raison humaine) conforme à la nature des choses (etumos : « vrai »). Bien entendu, le sens actuel du mot est bien différent, et les illusions (ou peut-être les ironies) de Socrate dans le Cratyle, ce dialogue énigmatique de Platon sur les noms, si elles ont alimenté bien des spéculations métaphysiques, religieuses ou poétiques, ont cédé la place à la modestie de l'investigation scientifique. À chaque mot, qui est un signe unissant une forme et une valeur sémantique, une origine directe peut être assignée : c'est la fonction de nos « étymologies » modernes, qui sont de minuscules condensés d'une évolution complexe, souvent séculaire ou millénaire.
L'étymologie française a une longue histoire, et un recueil tel que celui-ci doit presque tout aux travaux inlassables des chercheurs. Le public retient trop souvent les noms de vulgarisateurs, certes estimables, mais qui s'appuient sur les découvertes des spécialistes qui, eux, restent obscurs.
Au xxe siècle, Ernst Gamillscheg, Meyer-Lübke et les élèves du grand dialectologue Gilliéron, notamment le Suisse Walther von Wartburg, ont constitué une sorte de corpus canonique des étymologies françaises et gallo-romanes, où les principes rigoureux de l'évolution des formes, mais aussi la connaissance des « choses » et des civilisations sont en honneur. Ces principes ont été établis pour d'autres langues par les indispensables recherches des plus grands noms de la linguistique historique, tel Franz Bopp ou, plus près de nous, l'admirable savant que fut Hugo Schuchardt; ils ont rendu possible le tableau actuel, synthétisé dans le grand Französisches Etymologisches Wörterbuch de Wartburg et ses collaborateurs. Cet ouvrage monumental, malgré ses faiblesses12, constitue la source indispensable de tout exposé de l'histoire des mots français. Aussi bien, l'essentiel des étymologies présentées ici proviennent du « Wartburg ». Cependant, les résultats obtenus par tous ces chercheurs, incontestables quand il s'agit du « fonds commun » des langues romanes, posent encore maints problèmes dans le domaine plus mouvant des emprunts et surtout de ces mots très courants et très anciens qui n'apparaissent que dans le domaine gaulois, n'existent pas dans les formes de latin extérieures à la Gaule (et évidemment pas en latin classique ou tardif d'Italie). Parmi ces mots, fort peu sont assignables au gaulois, qui laisse plus de traces dans les noms de lieux, et les étymologistes se sont surtout appuyés sur deux origines : l'onomatopée (souvent moyen commode de se débarrasser des gêneurs) et le francique, langue germanique occidentale des Francs reconstituée à partir de l'ancien allemand et d'autres langues germaniques anciennes. C'est ici qu'intervient la réflexion du regretté Pierre Guiraud, auquel je tiens à rendre un hommage particulier, parce qu'amical. Guiraud, pour proposer des solutions à ces étymologies obscures ou qu'il estimait — à juste titre — douteuses, se fondait sur une conception très orthodoxe, mais où la sémantique joue un rôle plus important que chez ses prédécesseurs, et où les structures étymologiques donnent les pistes pour des solutions nouvelles13. Historiquement, sa thèse est que la plupart des mots difficiles de l'étymologie française, plutôt que de venir, par des voies peu compréhensibles, d'un fonds germanique mal attesté ou de radicaux onomatopéiques, proviendraient du fonds roman développé en Gaule pendant la période très peu connue — et sans aucun texte en langue vulgaire — du haut moyen âge. Des comparaisons avec l'occitan ancien, des reconstitutions respectueuses des lois phonétiques portant non plus sur le francique mais sur un état primitif du roman, des hypothèses structurales enfin, l'amènent à reprendre de nombreuses séries de mots d'origine obscure. Le Robert sera le premier dictionnaire à présenter, avec prudence et au conditionnel, ces hypothèses nouvelles sur l'histoire ancienne de notre langue.
La brève notice étymologique du Grand Robert est donc tributaire de ces recherches, et en donne brièvement le dernier état, en tenant compte des excellentes synthèses procurées par les articles « diachroniques » du Trésor de la langue française. La structure de cette notice est simple : une date initiale correspond à la première attestation du mot traité; si la forme ou le sens diffère de la forme et du sens actuels, l'un et/ou l'autre sont signalés. Ainsi, solennel apparaît sous cette forme en 1380, mais on rencontre sollempnel (forme faussement savante) en 1250, et solene (forme plus simple, plus « populaire », c'est-à-dire plus évoluée) dès 1190.
Parfois, plusieurs formes et sens archaïques sont mentionnés. Ensuite vient la forme d'origine, appelée étymon, soit précédée de la préposition de, lorsqu'il s'agit d'une évolution de longue durée, ayant donné, par exemple, le mot eau à partir du latin aqua, par des intermédiaires progressifs (ewe, où l'on retrouve le son qu [kw] affaibli en [w] en ancien français) ou lorsqu'une manipulation morphologique (dérivation, composition) conduit de cet étymon à la forme traitée. Au contraire, s'il s'agit de la source directe d'un emprunt (solennité est « emprunté » au latin solennitas, on aura solennité : … lat. solennitas (et non : « du » latin…). La forme d'origine, dans tous les cas, est précédée du nom de la langue concernée : lat. (latin), grec, gaulois, ital. (italien), esp. (espagnol), port. (portugais), provençal, francique, all. (allemand), angl. (anglais), russe, arabe, etc. Les formes originelles attestées sont distinguées des formes reconstituées (latin populaire oral, francique, etc.) qui sont classiquement précédées du signe*. Quand on l'a estimé utile, on a donné l'origine, forme et sens, de l'étymon, ce qui a notamment permis de reconstituer des familles de mots latins. Cependant, on n'a pas en général fait état des origines du latin et du grec, en essayant de remonter aux racines indo-européennes, ce que tente de faire le Dictionnaire historique déjà cité. On recommandera aussi le Dictionnaire des structures du vocabulaire savant, par Henri Cottez, qui explore historiquement les éléments grecs et latins dans la langue française. Certaines notices du Grand Robert, concernant les mots « à problèmes », sont plus développées que les autres (ex. bisque, soldat). Dans de rares cas, on a même signalé des hypothèses visiblement fausses, mais très connues, pour les critiquer et pour éviter à nos lecteurs la peine de nous les proposer (ainsi de l'anecdote qui fait venir le très français bistro, né dans le Nord de la France, d'une exclamation cosaque : byistro ! — en russe, « vite ! » — voir Bistro ou bistrot). Pour les emprunts qui assument une apparence française ou gréco-latine, nous avons, dans la limite de nos connaissances, précisé la langue de formation du composé (ex. biosphère, qui ne fut pas formé en français, mais en allemand, ou téléphone, successivement forgé en français, en allemand, puis en anglais par l'Américain Edison — et c'est cette forme que le français moderne a reprise, alors qu'il avait la priorité dans la formation du terme).
Les datations.
Ces informations, on l'a dit, sont accompagnées de datations. Presque tous les mots, de très nombreux sens, emplois et locutions, sont ainsi affectés d'une date, millésime précis, siècle ou portion de siècle, laquelle correspond au premier emploi connu et repérable. Cette documentation chronologique emprunte beaucoup au Französisches Etymologisches Wörterbuch de Wartburg, mais aussi à tous les travaux postérieurs, publiés par le C. N. R. S. (Institut national de la langue française), soit dans le Trésor de la langue française, soit dans la collection des Datations et Documents lexicographiques (D. D. L.) auxquels de nombreux chercheurs ont collaboré, et aux ouvrages (thèses, etc.) et revues spécialisées (on citera en exemple les travaux de K. Baldinger, de R. Arveiller, ceux de G. Petiot sur le vocabulaire des sports, de M. Höfler sur les anglicismes et le vocabulaire culinaire, de P. Enckell sur les locutions…), sans oublier le riche contenu historique du Grand Larousse de la langue française, dû à A. Lerond, et les éléments recueillis et présentés dans le Dictionnaire historique de la langue française. À ces documents dispersés mais publiés, on a ajouté le résultat de recherches originales, portant notamment sur les dictionnaires anciens — pour les mots omis par les recueils et les travaux existants — et sur des textes littéraires, scientifiques et techniques des xixe et xxe siècles (Année scientifique et industrielle, Revue générale des sciences, etc.). L'ensemble fournit au moins 400 000 datations, puisque sens, emplois et locutions sont très souvent datés.
Mais, dira-t-on, pourquoi s'attacher à dater les mots et leurs emplois ? Les mobiles de cet effort ne sont pas futiles. En effet, s'il est passionnant de connaître l'origine des mots, recherche qui nous conduit hors de la langue française, il est encore plus important de pouvoir montrer, ne fût-ce qu'approximativement, l'entrée de chaque unité du lexique dans notre langue. L'ensemble de ces datations donne, et peut seul donner une image assez fidèle des différentes couches formatrices de nos vocabulaires actuels. Par l'intermédiaire des renvois « analogiques », on pourra ainsi distinguer les apports des grandes époques de l'histoire du français dans un domaine déterminé : vocabulaire d'une science ou d'une technique, série de synonymes, famille morphologique, etc. L'intérêt de ces comparaisons nous a paru propre à stimuler de nouvelles recherches et à enrichir les travaux déjà existants, qui se multiplient d'ailleurs, montrant l'intérêt porté à ces questions, non seulement par les linguistes, mais par les historiens.
Ces datations sont présentées dans le Grand Robert quelquefois avec une référence complète, parfois avec la mention d'un auteur ou d'un texte. Il nous a en effet semblé que ces références, indispensables pour le spécialiste, n'offraient qu'un intérêt limité si elles n'étaient pas très précises, ce qui aurait occupé une place trop importante — et déjà autrement utilisée — dans l'ouvrage; l'utilisateur sera plus éclairé par une date ou une époque que par la mention d'auteurs et de textes souvent peu connus.
La date mentionnée, précisons-le, n'est pas en général celle du premier emploi réel du mot, de l'expression ou du sens en français. Il n'existe aucun greffe, aucun bureau d'enregistrement pour les termes nouveaux. On se doute que pour l'ancien français, le hasard des textes connus, dépouillés et étudiés préside plus à nos connaissances que la réalité de la langue du xiie ou du xiiie siècle, laquelle reste en partie mystérieuse. La date présentée est donc celle de la première attestation connue, soumise aux incertitudes de notre connaissance des textes et de leur datation, au moins pour les plus anciens manuscrits. Il s'agit souvent de la première apparition dans un dictionnaire et, dans ce cas (fréquent pour la période 1850-2000), une date antérieure peut (et devra) être cherchée. Disons, cependant, que l'état des travaux rend cette recherche de plus en plus difficile, ce qui montre qu'on s'approche d'une image assez fidèle. Un tableau des dates les plus fréquentes placé en annexe dans le 1er volume (grands textes médiévaux, principaux dictionnaires utilisés) aidera le lecteur à trouver des repères. On a préféré, en règle générale, la date précise au siècle; parfois cette date est précédée de v. (vers) qui signifie soit que le texte où le mot a été trouvé n'est pas de date sûre, soit que l'époque d'apparition est approximative en l'absence d'un texte précis. D'autres fois, on a situé une époque (déb. xiie, fin xiiie, etc.) pour éviter à la fois des précisions inutiles ou fictives et un vague excessif. Si le mot apparaît après 1945, on a noté : milieu xxe (mil. xxe), ou, quand le mot nous paraissait bien antérieur à 1950 sans que nous puissions en fournir une attestation écrite, simplement xxe. Quelquefois (rarement), nous avons dû avouer que la date nous était inconnue (d. i.), quitte à ajouter une mention d'époque (xxe, signifie que nous avons la quasi-certitude que le mot ne peut être antérieur à 1900; mil. xxe, qu'il ne saurait apparaître avant 1945-50). Ces semi-précisions ne sont pas toujours satisfaisantes, mais elles permettent d'éviter une notion encore plus imprécise et très arbitraire, celle de « néologisme », qui a été bannie de ce dictionnaire14.
Les mots signalés avec plusieurs variantes comprennent une date par variante, dans l'ordre de présentation (ex. soiffard ou soiffeur : 1843, soiffard(e); soiffeur, 1839; soiffeuse, 1843). Quand le mot apparaît avec une forme ou un sens nettement différent de sa forme ou de son sens actuel, ce sens, cette forme, ont été signalés. Par exemple, féliciter : v. 1460, « rendre heureux », le premier sens moderne étant daté du xviie siècle (1630, dès 1611, féliciter avec qqn); ou bien feu : xiie siècle (forme actuelle), fou au ixe siècle — qui porte la trace du latin focus. Lorsqu'un mot a plusieurs sens, la date donnée dans la notice étymologique s'applique au premier sens, sauf précision explicite. Enfin, quand un terme a été repris après une période d'abandon, ou s'est répandu longtemps après être apparu (comme mot savant, ou senti comme étranger), ce fait a été précisé. Les dates correspondant aux attestations isolées sont signalées; elles sont le plus souvent suivies d'une autre date, qui est la première d'une série continue d'emplois.
Toutes les datations recueillies qui ne proviennent pas des travaux antérieurs cités plus haut, sont référencées précisément. Certaines recourent à une citation donnée dans l'article, où le lecteur pourra vérifier le contexte de cette première attestation (ex. : antimère; solaire, 4. [« réflecteur solaire »]).
Pour conclure, rappelons que ces premières attestations sont le plus souvent provisoires, et que des dépouillements plus précis ou plus exhaustifs pourront les améliorer. Mais la course à la date la plus ancienne peut receler des pièges : certaines datations données sans précautions doivent parfois être améliorées et remplacées par un millésime plus récent. C'est, par exemple, le cas d'ouvrages augmentés au cours des rééditions et qui ont donné lieu à des erreurs (la Grande Chirurgie de Guy de Chauliac est bien connue des spécialistes). Les dictionnaires mêmes sont sujets à des flottements chronologiques : il arrive qu'on y repère un mot ajouté au hasard d'un tirage et qui était absent du premier — ni l'un ni l'autre n'étant daté sur l'exemplaire. Sans entrer dans le détail ingrat de ces recherches, on dira simplement que cette édition a tenu compte des travaux philologiques les plus récents, et que des dates postérieures à celles que donnent, par exemple, la première édition du Robert, le Dictionnaire étymologique de Dauzat, ou le Grand Larousse de la langue française, correspondent à des rectifications volontaires, et non à des étourderies.
Analyse des mots : sens et emplois.
Organisation visuelle des articles.
Depuis le Dictionnaire général de Hatzfeld, Darmesteter et Thomas (1900), l'organisation des articles de dictionnaires français répond à un classement hiérarchique des sens et des emplois. Auparavant, ces aspects d'un même mot étaient catalogués de manière linéaire, l'organisation apparente étant réduite à des remarques d'ordre rhétorique (par extension, par métaphore, figuré, etc.) ou à une succession décourageante de numéros qui se suivent sans faire apparaître de principe organisateur, cas du Littré, dont c'est peut-être la principale faiblesse.
Depuis Hatzfeld donc, les dictionnaires de langue développés ont opté pour une classification hiérarchique, « en arbre » et plus ou moins complexe. Avec le T. L. F., le Robert est le dictionnaire le plus analytique, puisqu'il peut opérer jusqu'à 6 niveaux (I et II, A et B, 1, 2, 3, etc., a, b, paragraphes internes et subdivisions par tirets, chaque opposition étant subordonnée à la précédente). Ces subdivisions interviennent chaque fois qu'elles sont nécessaires à la clarté de l'exposé, et non pas seulement pour les mots très fréquents correspondant à de très longs articles.
Cette organisation formelle, soulignée par la typographie, interfère avec des sous-entrées non numérotées, mais clairement distinguées, qui correspondent, par exemple, aux pronominaux fréquents et aux participes pouvant fonctionner comme adjectifs, sous un verbe (ces sous-entrées peuvent elles-mêmes être subdivisées par des numéros) [ex. sous le verbe animer, le pronominal s'animer, subdivisé en deux sens, et le participe-adjectif animé, ée, analysé en six sens et valeurs].
Un tel classement formel doit être justifié par des oppositions pertinentes, concernant à la fois la forme (distribution du mot dans l'énoncé), le sens et l'utilisation sociale, c'est-à-dire, pour s'exprimer de manière plus théorique, la syntaxe, la sémantique et la pragmatique. Car il convient d'écarter les classements basés sur un sentiment de fréquence d'ailleurs complètement intuitif, classements qui ne sont acceptables que pour les petits dictionnaires d'apprentissage, où seules les valeurs très courantes sont décrites.
Pour un recueil englobant un aspect historique, diachronique, il existe plusieurs grandes possibilités de classement. Tel est le classement strictement historique, qui présente les acceptions dans l'ordre de leur apparition. Il a l'avantage de représenter — dans les limites des connaissances sur l'histoire du lexique — une évolution réelle et non pas abstraite ou « logique ». Il s'appuie sur la connaissance objective des « discours » (textes ou, depuis peu, enregistrements de parole), c'est-à-dire sur la philologie. Au contraire, un plan logique rétablit parfois artificiellement les lois générales des évolutions. Or, les sens figurés — par exemple ceux qui sont empruntés à un sens figuré en latin — peuvent apparaître en français avant un sens propre ou un sens « étymologique », repris plus tard; un mot abstrait dérivé d'un verbe peut fort bien ne jamais avoir la valeur théorique « action de… », mais uniquement des valeurs dérivées.
La logique, la régularité dans le lexique sont virtuelles. Dans le dictionnaire, c'est la réalité, l'actualisation sociale des usages (et par là des discours) qui doit être représentée le plus fidèlement possible.
Les exemples sont innombrables. Ainsi, le mot hostia signifie « victime » en latin; il a donné le français hostie qui a existé en effet dans cette acception. Il est très licite de commencer la description par ce sens archaïque — ce que font déjà Littré et Hatzfeld —, pour marquer l'évolution de sens dans la langue latine et son reflet en français. Mais dans cette langue, le sens premier du mot est le sens religieux et courant qu'avait pris le latin hostia au moyen âge. Le sens étymologique de « victime » est, en réalité, un emprunt savant de la Renaissance au latin classique, précédé par de rares attestations médiévales. Quel que soit le plan adopté, il faut que le lecteur ait ces éléments à sa disposition. Dans d'autres cas, les anomalies ne sont qu'apparentes. Ainsi, les emplois figurés et assez récents de sarabande, qui semblaient inexplicablement résulter d'un sens musical bien attesté « danse grave et lente », représentent la valeur initiale du mot, « danse espagnole vive et érotique », qui s'était à demi perdue. Ici, l'histoire et la logique se réconcilient.
Nature des données à classer.
Tout le monde sent bien que les mots — surtout les plus usuels — ont fréquemment un grand nombre de possibilités, que réalise leur insertion dans des énoncés (être trempé comme une soupe ne « va pas » avec la définition la plus attendue de soupe, qui convient pour une assiettée de soupe; assiette dans une assiette à soupe ou casser des assiettes ne peut être assimilé à il n'est pas dans son assiette ou à l'assiette de l'impôt). C'est ce phénomène (appelé polysémie ou homonymie, de manière passablement arbitraire) qui rend indispensable la multiplication des entrées : voler quelqu'un et voler au secours de quelqu'un représentent deux verbes différents, malgré l'ancienne histoire du mot qui rattache un sens à l'autre par une métaphore de la fauconnerie (voler un oiseau : l'attaquer en plein vol); de là 1. voler et 2. voler. Si un mot, au contraire, est considéré comme unique, l'article peut se déployer en « morceaux de mots » — qui sont en fait des « paquets d'emplois » — numérotés, divisions qui correspondent à des ensembles fonctionnels cohérents. Ces divisions correspondent soit à des sens distincts, repérables par des définitions différentes, soit à des types d'emploi, repérables par la place du mot dans la phrase, par son entourage (grand dans un grand homme et un homme grand; faire dans faire quelque chose, faire suivi d'un infinitif, dans il fait…, impersonnel, etc.). L'analyse proprement sémantique exprime sa nature et ses options dans les définitions principales de chaque subdivision. Elle est subordonnée aux deux grands critères, sens et emplois, qui peuvent se rencontrer (l'article est alors clair) ou interférer bizarrement (l'article du dictionnaire est alors complexe, reflétant les ambiguïtés possibles de l'usage). Enfin, des oppositions moins internes à la langue, plus liées aux usages et à la société, plus pragmatiques enfin, se manifestent aussi. Telles sont les différences entre les emplois d'un même substantif, avec un même sens général, mais qui correspondent à plusieurs zones de désignation, à plusieurs usages disciplinaires (en sciences et en techniques, notamment, mais aussi dans l'usage général : carte dans carte d'identité, carte de visite, carte de crédit — repérables très simplement par ces formes mêmes, mais qui, lorsque la situation est claire, peuvent redevenir simplement carte). Ces oppositions de domaines, de types d'usage, interfèrent avec les oppositions concernant les notions et leur organisation dans des terminologies (ou des nomenclatures); un système de « marques » est chargé de représenter les niveaux d'usage en relation ou non avec un domaine conceptuel précis (voir plus loin : le fonctionnement social).
L'information morphologique.
Comme toute langue connue, le français possède une grammaire du mot, qui permet en principe de créer avec une certaine régularité, à partir d'un élément de base, des dérivés et des composés : ce que l'on appelle une morphologie. Or, on l'a vu, le Robert a choisi de présenter les mots qu'il traite dans l'ordre alphabétique et non pas de les regrouper par familles.
Mais ces familles sont reconstituées par la notice étymologique, dans le cas d'une origine interne au français (si pomme vient du latin, pommier vient de pomme, ce qui implique un élément -ier). À chaque mot ayant produit d'autres mots, on trouvera ces « dérivés » et « composés » rappelés en fin d'article, avec des informations d'une autre nature, phonétique (les homonymes) et sémantique (les contraires). En outre, les principaux éléments de formation des mots français, préfixes, suffixes, affixes, éléments savants provenant du grec et du latin, sont mentionnés en entrées, avec leur origine et des exemples. Des exemples de composés, notamment pour les préfixes les plus productifs, s'ajoutent à la nomenclature et comprennent de nombreuses données : catégories grammaticales, dates d'apparition (ex. l'article bio- qui mentionne dix composés, outre ceux qui sont traités explicitement). Pour les formations « libres », qui sont virtuelles et impossibles à dénombrer, de très nombreux exemples littéraires ou non littéraires illustrent la productivité de leurs éléments formateurs : plus de 25 exemples pour anti-, illustrant des mots rares ou occasionnels, s'ajoutent aux centaines de composés traités.
Mais le Grand Robert conserve une conception historique, étymologique de la morphologie : pour l'analyse « synchronique » du système structurel de notre lexique actuel, on se reportera à l'ouvrage dirigé par J. Rey-Debove, le Robert méthodique.
La définition.
Le centre vital d'un dictionnaire de langue, l'essentiel d'un lexique terminologique reste, quelle que soit l'importance des exemples, la définition. On se souvient que Voltaire a écrit — et on n'a pas cessé de le citer — qu'« un dictionnaire sans exemples [était] un squelette ». Encore faut-il se souvenir que sans squelette, le plus beau corps ne serait qu'une informe méduse.
La définition, son nom l'indique, sert à délimiter, à indiquer les « fins », les bornes, les « termes ». Sa nature est complexe et sa théorie difficile. Les aspects philosophiques de la question — notamment depuis Aristote, qui s'en est longuement et précisément soucié —, ses aspects logiques et épistémologiques ne doivent pas nous retenir. La définition de dictionnaire n'a pas — comme les définitions de la mathématique — la prétention de construire les concepts et l'image du monde; elle se contente de refléter l'organisation sémantique du lexique par un énoncé en langue naturelle (ici, en français moderne le plus neutre possible), selon une rhétorique entièrement didactique dans son esprit. Il s'agit, en effet, à propos d'une forme stable du langage — mot, syntagme, proposition ou phrase figée, telle qu'une locution ou un proverbe — de produire une synonymie « étalée ». Alors que le dictionnaire bilingue donne pour chacune des unités décrites une équivalence dans l'autre langue, la plus brève possible, une « traduction » au même niveau formel (mot pour mot, locution pour locution, si possible), le dictionnaire unilingue cherche à déployer le sens des unités définies, et notamment des mots, pour le rendre clair ou plus clair, ou plus précis à l'utilisateur.
De nombreuses règles, qui sont restées implicites sinon inconscientes pendant des siècles — alors que les réflexions savantes sur la « définition » philosophique ou scientifique abondent — sont appliquées dans les dictionnaires pour obtenir ce résultat. Depuis les premiers dictionnaires à définitions développées et systématiques (fin xviie siècle, en France), les progrès vers plus de rigueur sont notables. Sans entrer dans les détails15, on se bornera à rappeler les procédés essentiels appliqués aux définitions.
Ces définitions sont — comme dans tout dictionnaire digne de ce nom — des expressions destinées à recouvrir exactement et à suggérer ce qu'on appelle le sens, c'est-à-dire l'ensemble — ou l'un des ensembles — des valeurs d'emploi d'une suite de sons, de lettres, correspondant à un « mot » ou à une locution. La définition est une périphrase synonyme du défini. Dans cette périphrase, un mot central désigne une notion qui englobe celle du défini (c'est le « genre prochain ») et est qualifié par d'autres mots, dont le rôle est de distinguer le sens à définir de tous les autres du même genre (la ou les « différences spécifiques »). Ex. balcon : plate-forme (genre prochain) en saillie sur la façade d'un bâtiment (première différence) et qui communique avec les appartements par une ou plusieurs ouvertures, baies ou fenêtres (deuxième différence). À noter que le genre prochain et la deuxième différence spécifique (sans la première) produisent le signifié de terrasse.
Une bonne définition doit correspondre, selon la formule consacrée, à tout le défini — ce qui la rend adéquate —, et seulement au défini — ce qui la rend exacte. Non seulement une définition doit être adéquate et exacte, mais elle a pour fonction d'éclairer le défini : la notion que recouvre un mot inconnu du lecteur doit être révélée par les termes mêmes de sa définition. C'est aussi parce que la définition est explicative qu'elle doit être rédigée en langage clair et si possible élégant. Mais ces qualités de clarté et d'élégance doivent passer après l'exigence d'exactitude dans l'analyse.
La définition précède les exemples d'emplois et suit le numéro du sens (ex. antipathie : 1. Vx. Défaut d'affinité [entre deux substances]… 2. [xviie]. Mod. Aversion instinctive, irraisonnée [à l'égard de qqn]). Quand elle analyse et explique un groupe de mots, la définition le suit, soit qu'elle définisse l'expression par une équivalence (ex. bain de foule : action de se mêler à la foule), soit en ne reprenant qu'un élément dans une sorte de glose (à bain : « Robe bain de soleil, sans manches, avec le dos nu »), analysant un surplus de sens ajouté à ce qui vient d'être défini. Il en est de même de phrases liminaires qui précèdent — rarement — les véritables définitions et qui donnent une valeur générale, commune à plusieurs sens. Elles ne correspondent pas forcément à un emploi réel, ce que suggère le fait qu'elles ne sont jamais suivies directement d'un exemple. Ex. 3. droit, n. m. « Ce qui est conforme à une règle » précède l'analyse des sens I (un droit, des droits), II et III (le droit). Dans cet exemple, les expressions un droit, des droits et le droit opposent les emplois avec l'article indéfini singulier et pluriel, et les emplois avec l'article défini, généralement au singulier : système d'opposition fréquent pour le substantif français.
Les parenthèses qui se rencontrent à l'intérieur des définitions ont une valeur précise. Tout d'abord, elles isolent les éléments qui correspondent non pas au mot lui-même, mais aux mots avec lesquels il peut être employé. Par exemple, le verbe soigner reçoit, parmi d'autres, cette définition : « s'occuper du bien-être et du contentement de (qqn), du bon état de (qqch.) » et, sens plus courant, « s'occuper de rétablir la santé de (qqn) » et « s'occuper de guérir (un mal) ». Les compléments du verbe sont ainsi catégorisés comme « être humain » (qqn : quelqu'un), « chose » (qqch. : quelque chose) ou, plus précisément « un mal » : nom de maladie, etc. De même, les définitions d'adjectifs sont souvent précédées de « (Choses) » ou « (Personnes) », note qui concerne la nature du nom avec lequel est employé l'adjectif. Ex. soigneux : A. (Personnes); B. (Choses) : travail soigneux, de soigneuses recherches… De cette manière, la définition couvre aussi les éléments contextuels les plus proches du mot traité, qui influent sur sa valeur de sens.
Les définitions s'appliquent soit au sens des mots à une seule valeur (« monosémiques »), soit à chaque valeur, à chaque nuance des mots « polysémiques », que ces valeurs soient ou non distinguées par des numéros dans l'analyse interne d'un article.
Ainsi un mot banal comme chambre ne comprend pas moins de 58 définitions (plus une, contenue dans une citation scientifique) qui correspondent à des sens, à des valeurs ou à des nuances du mot chambre employé seul, ou encore à des syntagmes (chambre d'ami, chambre à donner, chambre de bonne), à des constructions (travailler en chambre), à des locutions à valeur terminologique (chambre à gaz, chambre forte, chambre noire, chambre de Wilson). Ces définitions explicitent les sens évidents pour tout francophone (« pièce où l'on couche, dans une habitation »), mais aussi des sens propres à une partie de la francophonie (on emploie chambre en Suisse romande, pour pièce, valeur qui correspond à des emplois anciens du mot chambre en français général), ou bien des valeurs spéciales, inconnues du public non spécialisé (« endroit où les cerfs, les biches se reposent pendant le jour », terme de vénerie; ou encore : « vide accidentel produit à la fonte », terme technique).
Dans un dictionnaire de langue, la définition a deux missions principales : (a) comme dans tout dictionnaire, rendre plus claires et plus précises pour le lecteur les formes du lexique et de la phraséologie : c'est le rôle des définitions analytiques de notions ou de signifiés (un mot d'importance moyenne comme chambre correspondant à près de 60 définitions et le nombre d'entrées du Grand Robert étant voisin de 80 000, on aura une idée de l'importance quantitative du matériel…); (b) mais aussi rendre compte de la structuration sémantique du lexique et notamment de ses rapports avec la morphologie : c'est le rôle des définitions-renvois qui soulignent l'unité des familles de mots et paraissent souvent n'apporter qu'une information dérisoire (rangement « action de ranger »; fumeur, euse « personne qui fume »). Un peu dérisoires, en effet, si on les considère seules, ces définitions sont précieusespour montrer ce qui, dans la morphologie française, est cohérent au niveau des significations — et, par conséquent, ce qui ne l'est pas, ou plus. Ainsi, le verbe chambrer, dans des acceptions archaïques — ici notées vx (vieux) —, peut être défini « habiter la même chambre » et « tenir (qqn) enfermé dans une chambre »; mais aux sens modernes (chambrer qqn, chambrer du vin), le lien qui était manifeste entre le nom et son dérivé est rompu : chambre ne convient plus dans la définition. Et qui reconnaît aujourd'hui dans départ et dans département deux dérivés du verbe départir ? Les rapports entre mots de même famille sont souvent très complexes : définir change et changement comme « action de changer » ne suffit évidemment pas, mais la relation (déjà manifeste sur le plan formel dans les étymologies et les dérivés) entre ces trois mots (et avec changeur, etc.) doit être manifestée, notamment par ce procédé.
Enfin, c'est la structure même des définitions, avec leurs mots-centres, exprimant les genres prochains, qui fournit la clé du système « analogique » du Robert (voir ci-dessous). Déjà révélatrices en ce qui concerne la langue générale, ces relations de sens entre les mots deviennent fondamentales lorsqu'il s'agit de nomenclatures et de terminologies, que ces dernières concernent les sciences et les techniques les plus contemporaines, le droit et l'économie ou même des activités et des réalités plus traditionnelles.
Les mots dans l'usage : discours, exemples et citations.
Les mots ne vivent pas seuls. La rigueur formelle et l'arbitraire visible de la liste alphabétique que forme une nomenclature donne une impression étrange d'éclatement, avec des rencontres attendues et inattendues. Mais ce découpage, nécessaire pour décrire et pour présenter ce que l'on cherche dans un ordre tel qu'on puisse le trouver, correspond à un artifice.
La réalité de la communication et de l'expression, ce sont des signes qui fonctionnent, et dans la langue, le seul moyen qu'ont les signes — les mots — de fonctionner, c'est de prendre place dans des énoncés où ils se manifestent selon des règles d'assemblage linéaire, règles dont l'ensemble forme une grammaire. Quel que soit le modèle théorique adopté pour étudier et décrire cette grammaire, on connaît par l'observation ses résultats, qui sont innombrables : la totalité des énoncés produits, qu'ils soient adressés à autrui ou émis solitairement, compris ou incompris, oraux ou écrits, murmurés ou hurlés, entendus ou perdus, vrais ou faux, sincères ou trompeurs, rationnels ou absurdes, intelligents ou sots, bien ou mal formés, esthétiques ou plats, répétés ou nouveaux. Cet univers du discours manifeste des récurrences : on y retrouve — sinon, nulle communication ne pourrait s'établir — des stabilités : précisément, ces « mots », ces groupes de mots, syntagmes, locutions… que le lexicographe met en cage et en listes.
Pour que le dictionnaire remplisse sa fonction culturelle, il doit redonner à ces mots isolés, et comme desséchés par leur arrachement à la réalité du discours, une vie certes moins intense, mais aussi moins anarchique que dans cette indescriptible, cette inépuisable réalité. Il ne peut le faire qu'en les replaçant dans les deux milieux nécessaires à leur vie : le milieu réel et observable du contexte langagier — les linguistes parlent alors de « relations syntagmatiques » —, et le milieu structurel et abstrait des relations de forme et de sens entre eux — « relations paradigmatiques ». Le Robert est probablement le seul dictionnaire de langue au monde à donner autant d'importance à ces deux types de relations.
Les usages du français, objet de ce dictionnaire, ne nous sont connus que par notre compétence, notre aptitude à produire des énoncés acceptables, en ce qui concerne quelques-uns d'entre ces usages (ou un seul), ainsi que par les discours, les énoncés que nous entendons, que nous lisons. La valeur de ces innombrables énoncés qui forment notre « bain quotidien » de langage est très diverse : les uns sont à peine du français, d'autres, appréciés par le jugement social (les textes littéraires, par exemple), importants par leurs effets (les textes administratifs, juridiques…) ou acceptés à cause de leur diffusion massive (la presse), méritent d'être retenus pour illustrer certains faits de langue.
Un dictionnaire n'est pas un magnétophone qui se contente d'enregistrer le réel. Son rôle est double; il consiste à retenir et à classer les emplois les plus fréquents, sans la connaissance desquels il serait impossible de comprendre et de se faire comprendre, et à présenter parmi ceux-ci des exemples qui puissent servir de modèles (ce que dit le mot exemple). C'est pourquoi le dictionnaire n'est pas, ne peut et ne doit pas être seulement le reflet du français parlé (dans la rue ou dans le privé) et écrit (dans les bureaux, dans les correspondances…). En revanche, il ne doit pas se borner à des emplois parfaits et fictifs, généralement marqués par le temps, ou enrichis, donc déformés, par le souci de style. Un étranger qui, possédant par cœur son Littré ou son Dictionnaire de l'Académie, voudrait s'en tenir à ce « pur français », s'exposerait à d'étranges mésaventures.
C'est pourquoi les contextes — fragments de discours où figure l'unité lexicale décrite — et les éléments de contexte cités ici sont si nombreux. Ils se divisent en deux catégories : exemples intégrés au texte, citations référencées.
Les exemples.
Des exemples intégrés au texte sont chargés de montrer au lecteur les principales possibilités combinatoires de chaque mot. Ces exemples sont parfois des énoncés observables tels quels (phrases ou membres de phrases parlés et écrits), parfois des énoncés traités et simplifiés, réduits à ceux de leurs éléments qui sont pertinents dans la description. La plupart proviennent de textes effectivement observés et, dans de très nombreux cas, des citations données dans l'ouvrage même. C'est dans ce choix d'exemples qu'on trouvera les assemblages de mots les plus usuels, les plus courants et donc les plus banals. Tout énoncé sortant de cette banalité et provenant d'un texte, en général littéraire, est renvoyé à ce texte. Dans ce cas, l'exemple, phrase, proposition ou tronçon, se réfère au mot-entrée où l'on trouve le passage d'où il est extrait et précise le numéro de la citation concernée. Ces renvois de citations sont présentés soit par une flèche simple (ex. à chapeau : chapeau pointu. → Enjoliver, cit. 2, renvoie à une citation du Voyage en Espagne de Gautier qu'on trouve sous le verbe enjoliver, en no 2), soit, quand le mot de renvoi apparaît dans l'exemple même, par l'abréviation cit. (citation) entre parenthèses et suivie du numéro, immédiatement après le mot concerné — ex. à chanson : chanson bachique (cit. 1 et 2) indique que l'adjectif bachique présente deux citations où le syntagme chanson bachique est illustré; la première est de Boileau, la seconde d'Anatole France. Ces renvois sont plus nombreux à mesure qu'on avance dans l'ordre alphabétique, car ils renvoient le plus souvent vers le début de l'ouvrage, les citations se renouvelant sans cesse; ils enrichissent considérablement les références littéraires du dictionnaire.
La typologie des exemples de dictionnaires est complexe16. Signalons simplement que, pour un nom, les exemples sont chargés de donner des groupes nom + adjectif ou nom + à ou de et nom; verbe + nom (complément) et nom (sujet) + verbe, seuls ou intégrés dans des propositions, voire des phrases entières, selon la nécessité ou non d'un contexte. Ainsi, chanson au sens premier fournit environ 35 exemples de syntagmes où le mot est qualifié (chanson populaire, à boire, de marche, de cow-boy…), 7 verbes dont chanson est normalement complément, etc. Dans les grands articles complexes, ces exemples se comptent par centaines, voire par milliers (passer, pied, prendre…). Parmi ces exemples, nombreux sont ceux qui concernent des groupes de mots figés (locutions, proverbes, etc.). On comprendra sans peine qu'il faut faire une distinction entre les exemples d'auteurs ou les phrases anonymes qui procèdent d'un choix nécessairement arbitraire, et les groupes de mots qui ne laissent aucun choix, aucune liberté au sujet parlant ou écrivant. Si à l'article fièvre nous donnons l'exemple : avoir de la fièvre, c'est qu'il s'agit d'un des emplois les plus courants du mot, formant une véritable locution verbale; on peut dire aussi avoir la fièvre. Mais ces emplois ne sont pas contraignants. Témoin les variantes possibles (je sens la fièvre, de la fièvre) ou les modifications de la phrase : il a encore un peu de fièvre, il a une grosse fièvre. Cette liberté dans l'énoncé est rarement complète; souvent même elle disparaît. Témoin un autre exemple, fièvre de cheval (traité à cheval). Ici, le français courant n'a plus le choix : il est impossible de parler d'une « fièvre de vache » ou « de poney »; impossible même de dire : « il a une fièvre de petit cheval » ou « de cheval de labour », sauf en vue d'un effet de style.
Cet exemple aidera à comprendre la différence qui existe entre une suite de mots fréquente mais modifiable (exemple ou citation), et une suite de mots intangible (expression, locution, proverbe) aussi indispensable à connaître que le mot lui-même. Aux étrangers, cette information sur la « phraséologie » (il s'agit alors pour eux de gallicismes) est absolument primordiale, autant que celle qui porte sur les mots eux-mêmes. Ces groupes figés sont des « unités de traduction » que l'on est obligé d'apprendre au même titre que les entrées du dictionnaire.
Il n'y a pas de limite précise entre l'un et l'autre cas. Cependant, on reconnaîtra dans le dictionnaire les expressions stables ou figées à ce qu'elles sont en général suivies d'une explication quand leur caractère archaïque les rend obscures, et à ce qu'elles sont précédées d'une mention particulière : loc. (locution), prov. (proverbe), etc. Sous le nom féminin figure, l'expression faire figure de… (« Il est gênant et fatigant de faire figure de grand homme », Valéry, Figure, cit. 19) constitue un véritable verbe, que l'on peut remplacer par passer pour… Dans l'impossibilité de le traiter à part, à l'ordre alphabétique, ce qui aurait conduit à multiplier par dix, vingt ou cent le nombre d'entrées de ce dictionnaire, on a souvent présenté ces groupes comme des sortes de « demi-mots » (ils font parfois l'objet d'un numéro à part dans l'article) fréquemment imprimés en capitales. Ex. à billard, 3. : billard électrique; à billet, II., 1. : billet à ordre; II., 2. : billet de banque; à biscuit : biscuit de mer (« os de seiche »); à blanc, II. (n. m.) : à blanc, loc. adv. : chauffer à blanc, blanc de blanc(s); ou encore, à bandoulière : en bandoulière, signalé comme « plus cour(ant) » que les autres emplois du mot.
Comme ces groupes comportent par définition plusieurs éléments, ils peuvent figurer en plusieurs lieux de l'ouvrage. Pour la commodité du lecteur, et alors même qu'ils font l'objet d'un traitement approprié sous une entrée, ils sont en général rappelés aux autres mots qu'ils comportent, et sont renvoyés à l'information principale par l'astérisque ou le renvoi en gras. Ex. à banc, I… Loc. Char à bancs. ➙ Char (alors que banc-titre, banc d'essai sont traités sous l'entrée banc elle-même); à tomber :… tomber sur le dos*, la bosse*, le casaquin*, le paletot*, le poil*; à banque, billet de banque renvoie non seulement à billet, mais à des synonymes et à des termes sémantiquement en rapport (pour éviter au lecteur un détour). Un traitement sommaire n'exclut pas le renvoi; ainsi, à bleu, zone* bleue, qui est défini, renvoie cependant au mot zone; ou à tombe, avoir déjà un pied* (cit. 15) dans la tombe : être près de mourir, implique la consultation de l'article pied. Il arrive d'ailleurs que certaines locutions soient commentées sous plusieurs entrées (battre son plein, à battre et à plein), car l'éclairage explicatif peut être tout différent si l'on part de l'un ou de l'autre élément métaphorisé. Ainsi, lieu commun est traité à lieu (Lieu, IV), mais rappelé à commun, où deux citations illustrent l'évolution de valeur de l'adjectif dans ce terme complexe.
Citations et exemples référencés.
Le Grand Robert est (avec le Trésor de la langue française) le plus grand recueil de citations littéraires et didactiques (scientifiques, techniques, journalistiques) en français, organisé selon les mots de la langue.
Ces citations — à la différence de celles du T. L. F. qui ne commencent qu'en 1790 et s'arrêtent vers 1960 — couvrent plus de cinq siècles; la majorité d'entre elles appartiennent aux xixe et xxe siècles (écornant même le xxie), mais les auteurs des xvie, xviie et xviiie siècles, classiques et moins classiques (les poètes baroques, Vadé, Restif, Sade — lequel n'était cité par aucun dictionnaire français) sont bien représentés. On est parti de relevés de textes quantitativement importants (autour d'un million de fiches, ce qui est d'ailleurs encore raisonnable face aux documentations mises en mémoire par le C. N. R. S. qui dépassent largement la centaine de millions), et tous ces textes étaient destinés à la réalisation de cet ouvrage (alors que les relevés du C. N. R. S., indispensables pour des travaux statistiques, n'étaient pas faits — ou pas seulement faits — pour un dictionnaire). Comme pour la première édition — dont toutes les citations ont été conservées —, les passages sélectionnés devaient illustrer, soit un emploi (de préférence typique ou rare, mais intéressant), soit une qualité stylistique, soit un contenu de pensée, soit simplement la présence d'un fait de langue remarquable — mot, sens, locution… Un intérêt spécial a été porté aux évolutions de la langue, à la néologie et divers fichiers externes (souvent en provenance de la francophonie : sources belges de Maurice Piron, sources helvétiques du Centre de l'Université de Neuchâtel, sources québécoises, africaines, etc.) sont venus enrichir la documentation interne du Robert.
Les citations représentent à peu près tous les types de discours littéraire et didactique. Le choix des sources pose évidemment d'innombrables problèmes. Littré, on le sait, avait éliminé l'une des principales difficultés en ne s'appuyant que sur les écrivains du passé — de son passé —, acceptant à peine Chateaubriand et quelques bribes du jeune Hugo, de Lamartine ou… de Charles de Bernard, romancier alors à la mode. Littré, non par ignorance ni par mépris, écarte impitoyablement la plupart de ses contemporains et jusqu'à son maître spirituel Auguste Comte. Le Robert, au contraire, tente de refléter la complexité des usages, en citant de très nombreux contemporains, auteurs d'avant-garde, auteurs à succès, et même auteurs « populaires », auteurs non français aussi, qu'il s'agisse de Français d'adoption (Julien Green, Ionesco, Beckett) ou des représentants d'une civilisation francophone (Belges, Suisses, Québécois et Acadiens, et, en français langue étrangère, Maghrébins, Africains, Libanais…). Exactement référencées (la description des éditions utilisées est donnée en bibliographie), ces citations sont numérotées par article : pour respecter — sauf modification absolument nécessaire — les numéros des citations de la première édition, qui font, on l'a vu, l'objet de nombreux renvois enrichissant le texte, on a eu recours à des numéros intermédiaires à deux chiffres (les citations 0.1, 0.2… précèdent la citation 1; si une ou plusieurs citations nouvelles sont ajoutées entre les citations 3 et 4, elles seront repérées comme 3.1, 3.2, 3.3, etc.). Ce système nous a semblé présenter un avantage, celui de signaler au lecteur l'existence de « couches documentaires », dont la seconde, rassemblée de 1966 à 2001, illustre l'évolution récente des vocabulaires français.
Plus que l'auteur, c'est le contenu de l'exemple qui importe. Ce contenu va de la simple attestation d'une forme lexicale en fonction et en contexte — elle peut alors prêter à sourire si une banalité nécessaire s'orne d'une illustre signature : on évitera « il fait chaud », signé Valéry ! — à la citation descriptive, définitoire, à la citation-pensée ou au fragment de texte véhiculant une beauté stylistique, parfois poétique. Cette littérarité de l'exemple, très étrangère aux préoccupations de la linguistique pure, nous y tenons beaucoup, et ce dictionnaire ne refuse pas, bien au contraire, d'être tenu pour une anthologie, un florilège. Il rejoint en cela deux immenses traditions d'ouvrages de référence : celle de l'Islam classique et celle de la Chine. Oublier telle description qui a fait date dans l'élaboration de l'« objet textuel » à fort pouvoir imaginaire devient alors un « défaut », que nous avons parfois évité… Qu'on se reporte à casquette où s'amorce l'inoubliable passage que Flaubert a consacré à cet objet et où tout le personnage de son possesseur, l'infortuné Charles Bovary, est en germe, ou bien à telle réflexion de Francis Ponge à propos de l'indissoluble amalgame du mot et de la chose (crevette, par exemple), ou à la description de certaine tomate par laquelle Robbe-Grillet, dans Les Gommes, illustrait un aspect important d'un objet littéraire en gestation, le nouveau roman.
Bien qu'il soit privilégié, le discours littéraire n'est pas le seul à donner matière aux citations du dictionnaire : on y trouvera des textes scientifiques, techniques, juridiques, ainsi que de nombreux extraits de périodiques (généraux et spécialisés), parfois intégrés aux articles sous forme d'exemples, mais alors placés entre guillemets et référencés avec autant de précision que les citations numérotées.
Si la littérature domine, ce n'est pas par un choix traditionnel qui prétendrait que cette forme d'expression est la seule à attester un « bon usage ». Tout au contraire, le discours littéraire nous importe parce qu'il représente la plus grande variété d'usages : du grand lyrisme de Corneille ou de Saint-John Perse à la poésie familière de Mathurin Régnier ou de Prévert, de la prose noble depuis Bossuet jusqu'à Montherlant ou à Malraux, vers les reflets stylistiques des usages populaires de Rabelais à Queneau ou à Céline, en passant par Zola, on parcourt non seulement le temps, mais la société, les activités professionnelles, les régions (avec Pourrat, Pagnol, Mauriac…). Malgré l'intérêt que de nombreux savants attachent à l'écriture, leur style n'est pas aussi multiple, et le discours scientifique ou didactique ne donne pas la même image plurielle des usages du français. Reste qu'il est indispensable, si l'on veut illustrer par des textes de qualité les termes (et les notions) essentiels des sciences et des techniques, et si l'on veut donner par le dictionnaire une image acceptable de la vie culturelle en français à notre époque, d'intégrer à la description des textes non littéraires. Un grand dictionnaire de langue française où l'on ne trouverait aucun texte philosophique de Merleau-Ponty, de Foucault, de Derrida, aucun texte psychanalytique de Lagache ou de Lacan (faute d'un Freud francophone…), aucun texte anthropologique de Lévi-Strauss, historique d'un des grands continuateurs de Lucien Febvre, tels Georges Duby, Jacques Le Goff, aucun texte biologique de Jean Rostand, Jacob ou Monod, mathématique de « Bourbaki » ou de René Thom, physique de Leprince-Ringuet ou de L. de Broglie, technique de Simondon — parmi beaucoup d'autres — manquerait à l'une de ses missions, qui est de proposer un microcosme du « discours en français ». En effet, ces noms font autant, sinon plus, pour le rayonnement de la pensée et de la langue françaises, que poèmes et romans. Sur un autre mode, les textes poétiques ou prosaïques de scénaristes de films, de chanteurs comme Brassens, de diseurs comme Raymond Devos, ajoutent en quelques lieux du dictionnaire un type d'utilisation du langage qui n'était guère pris en compte auparavant.
Le dictionnaire analogique dans le dictionnaire.
Outre son souci de composer un « nouveau Littré » en améliorant les méthodes de son grand prédécesseur, Paul Robert — il s'en expliquait dans la préface de son premier volume, qu'on aura lue ici même — tenait à intégrer dans la description une information systématique sur les rapports de sens et de désignation entre les mots. Il suivait ainsi une tradition. En effet, il existait des descriptions ordonnées du vocabulaire, orientées vers l'apprentissage des langues, et ceci depuis un lointain passé. L'initiateur, dans les temps modernes, est l'humaniste tchèque Komensky, dont le nom fut latinisé en Comenius. De nombreux manuels, illustrés ou non, furent publiés sous son nom et par des imitateurs. Mais c'est en 1852 que l'Anglais Peter Mark Roget composa un ouvrage fameux qui visait à regrouper un grand nombre de mots de la langue anglaise, de manière systématique, organisée, c'est-à-dire conforme à ce que pourrait être le plan idéal d'une encyclopédie thématique. L'entreprise fut reprise au xxe siècle par Hallig et von Wartburg — qui cherchaient un cadre conceptuel pour les études de désignations (dites « onomasiologiques ») où l'on part de l'objet et de la notion pour aller vers les mots. Hallig et Wartburg proposent donc un « système conceptuel » englobant — Begriffssystem. Malgré le caractère idéaliste et quelque peu illusoire de ces tentatives, le Thesaurus of English Words and Phrases s'est avéré un instrument de travail utile, bien souvent réédité, abrégé et modernisé et dont on trouve les échos dans de nombreuses classifications pratiques. Pour le français, P. Boissière faisait paraître en 1862 un Dictionnaire analogique de la langue française, qui fut plusieurs fois repris et adapté. Ces ouvrages et les autres dictionnaires dits analogiques regroupent, en général sans commentaire, les mots et la phraséologie sous un nombre réduit de notions (ou de mots-centres, la philosophie sémantique des auteurs n'étant pas toujours claire). Ils posent deux sortes de problèmes et souffrent de deux grandes limitations : d'abord, le choix des mots-centres y est forcément un peu arbitraire et l'ordre de leur disposition beaucoup plus — elle est en fait chargée de sens et reflète l'idéologie d'une société et d'une époque —; ensuite le nombre relativement réduit de ces regroupements (un ou deux milliers, rarement plus) limite singulièrement leur efficacité.
En reprenant le principe de renvois notionnels, mais en l'appuyant sur l'analyse sémantique de la définition lexicographique (intuitive, certes, mais naturelle et pédagogique), en l'intégrant à la structure du dictionnaire de langue alphabétisé, le Robert en changeait profondément la nature et en multipliait l'efficace. En effet, Roget, Boissière et leurs successeurs — y compris, dans un esprit plus scientifique, Hallig et Wartburg — étaient prisonniers d'une analyse soumise à la pensée dominante d'une époque, et qui en reflète la philosophie, ou plutôt des systèmes philosophiques bien plus anciens (Roget, comme S. T. Coleridge dans son Encyclopœdia Metropolitana — 1817-1845 — s'inspire plus de Bacon que de Leibniz, pour ne pas parler de Hegel). Au contraire, le système analogique du Robert est entièrement soumis à la structure du dictionnaire, c'est-à-dire au « scandale » logique et conceptuel que constitue l'ordre formel, alphabétique. Mais, paradoxalement, ce système étant strictement sémantique et notionnel — dans la mesure où les définitions d'où il procède le sont —, il donne à l'ordre alphabétique les avantages dont il était dépourvu, tout en lui empruntant la remarquable neutralité idéologique qui le caractérise. L'alphabet, en effet, instaure la suprématie du signifiant, de la lettre — ce qui n'est pas fait pour déplaire à tout un courant philosophique et psychanalytique contemporain — quitte à placer dans ce cadre signifiés, notions et références au monde, sans lesquels le dictionnaire manquerait à sa mission.
Ces « renvois analogiques » sont en quelque sorte l'envers de l'univers formel que constituent (aussi) les mots; ils rétablissent des liens que le discours ne suffit pas — ou pas toujours — à manifester; ils reconstituent des « champs » (lexicaux, sémantiques), de petits univers du discours repérables, non par une étiquette plus ou moins arbitraire dans une classification, ce qui est le cas de toutes les encyclopédies, mais par ces unités formelles et observables, dictées par la réalité sociale de la communication, que sont les mots et les autres unités lexicales.
Pratiquement, ce système est une pédagogie du vocabulaire. Ce type de dictionnaire est le seul où, ne connaissant pas ou ayant oublié une forme de la langue (mot, locution, syntagme…), l'utilisateur a les plus fortes chances de la trouver (de la retrouver) de la manière la plus naturelle qui soit, c'est-à-dire au moyen des formes qu'il maîtrise déjà. En effet, on constatera que ce sont les mots les plus fréquents, donc les plus connus, les premiers appris, qui sont les plus riches en références de ce genre. Les renvois « analogiques » sont présentés en caractères gras et précédés d'une flèche grasse (➙). On se rappellera que le renvoi est alors « sémantique », qu'il concerne une relation de sens qui peut être une « synonymie », une ressemblance, un rapport logique (contenantcontenu, partie-tout, cause-effet, etc.), parfois même une appartenance commune à un thème d'expression.
Comme nul ne saurait disposer des 75 000 mots, des centaines de milliers d'expressions contenues dans cet ouvrage, cet avantage, utile aux francophones les plus cultivés, est essentiel pour tous les « apprentis » de la langue française. Ainsi l'adjectif facile, qui appartient au français fondamental et que connaît toute personne ayant des notions de français, renvoie à aisé, commode, élémentaire, enfantin, simple, faisable, possible; à coulant, courant (un style facile); à accommodant, arrangeant, commode, complaisant, indulgent, conciliant, doux, malléable, tolérant, traitable, tendre (en parlant des personnes), etc., sans parler des expressions : c'est un jeu d'enfant, cela va tout seul (= c'est facile), c'est un jeu pour lui (= la chose lui est facile) et familièrement : ça ne fait pas un pli*, c'est du billard, ça marche comme sur des roulettes*, c'est du gâteau, de la tarte (ces expressions sont présentées par une flèche maigre (→) et l'astérisque ne fait qu'orienter le lecteur dans la consultation). À cet éventail de mots synonymes dans un ou plusieurs emplois, ou de sens voisins, s'ajoutent différentes relations de sens. Certains mots-centres, autour desquels s'organise tout un vocabulaire, renvoient à l'essentiel d'une sphère de désignation (ex. cheval). En outre, en énumérant des mots et des expressions de niveaux différents, plus ou moins familiers, parfois littéraires ou archaïques, on suggère que les valeurs sociales interfèrent avec le sens (voir plus loin : le fonctionnement social du français). Ce procédé permet, de proche en proche et d'un terme à l'autre, de couvrir tout le champ des possibilités d'expression d'un domaine en s'élevant d'un vocabulaire élémentaire à une grande richesse lexicale.
Il convient d'ajouter à cet appareil très riche (beaucoup plus d'un million de renvois), les contraires qui font l'objet de listes en fin d'articles, et certains systèmes d'opposition, signalés dans le texte. On aurait sans doute pu intégrer les contraires au système général des relations sémantiques, mais l'inconvénient pédagogique eût été considérable, pour les mots rares notamment, où le lecteur aurait pu confondre ressemblance et opposition de sens.
Le lecteur, au xxie siècle, remarquera sans peine que ce système de liens sémantiques n'est autre qu'un hypertexte, qui permet, pour une sélection de mots apparentés, d'avoir accès à des développements homogènes en d'autres lieux de l'ouvrage. Les renvois analogiques sont autant de « liens hypertextes ».
Le fonctionnement social du français dans le dictionnaire.
Chaque élément mentionné et commenté dans cet ouvrage, chaque fragment de discours — exemple, citation — qu'il renferme est sans doute « du français », appartient à la langue française, que cette appartenance soit séculaire (mots attestés au xe siècle et aussi anciens que notre langue même) ou très récente (emprunts, sigles, formations des dernières années précédant la publication).
Tous ces éléments sont utiles pour comprendre le français. Mais pour s'exprimer soi-même dans cette langue, il faut en outre connaître les conditions normales d'emploi de chaque élément. Sur ces conditions, sur l'usage, on ne sait a priori pas grand-chose : le fait que reculer vienne du mot cul n'en fait pas un mot vulgaire ni même familier; le fait que orchidée vienne du grec (précisément du mot grec signifiant « testicule »), que géranium ou pétunia soient des formes latines ne rendent pas ces termes plus savants que lilas; les mots les plus usuels ont des emplois archaïques et d'autres modernes, des emplois familiers et d'autres littéraires.
Or, la connaissance des pouvoirs, des conditions d'emploi des mots est essentielle pour quiconque veut apprendre, connaître, maîtriser le français.
Comment en rendre compte dans un dictionnaire ? D'abord, on l'a vu, par des mises en contexte réelles ou vraisemblables, sous forme d'exemples et de citations. Ensuite, sous forme de « marques d'usage », très nombreuses, qui qualifient non seulement les mots et leurs assemblages, mais aussi leurs emplois, leurs nuances.
Ces marques sont de diverses natures et esquissent — très grossièrement — une configuration des usages de la langue. Dans l'espace d'abord, en opposant aux emplois neutres, qui sont compris et employés dans l'ensemble de la francophonie active, des emplois qualifiés de régionaux ou rapportés à une communauté précise (« en français d'Afrique », en « français des Antilles », par exemple). Ces marques correspondent à l'élargissement de la nomenclature par rapport à la norme « centrale » : termes régionaux de France (du Nord, de l'Est, de l'Ouest, du domaine franco-provençal, du Centre, d'Occitanie… ou d'une région précise, voire d'une ville [les traboules lyonnaises]), de Belgique, de Suisse romande, du Québec et des lieux où le français est une langue apprise, non maternelle (français d'Afrique, du Maghreb, des Antilles). La dénomination régional est plus ou moins bien adaptée à ces mots et à ces valeurs. Normale quand il s'agit du terroir, elle doit le céder à un repérage précis, voire national, lorsqu'il s'agit de termes propres aux institutions, comme la gouvernance sénégalaise, les échevins belges ou les cantons suisses.
Dans le temps, les marques opposent aux emplois neutres, compris et produits aujourd'hui, des emplois vieux (vx), vieillis ou archaïques — il s'agit souvent d'archaïsmes littéraires. Vieux correspond à des formes qui ne sont plus clairement comprises et qui ne sont jamais produites spontanément dans la communication; vieilli, à ce qui est encore compréhensible et peut encore être dit ou écrit, dans certaines circonstances ou par certains locuteurs (âgés ou isolés). Les emplois « vieux » appartiennent souvent à l'usage classique et sont encore connus par les passages de Molière, Racine, La Fontaine, etc. qui les illustrent. Quant à l'archaïsme, c'est un emploi actuel ou récent de mots « vieux ».
Dans la société, les distinctions sont infiniment plus délicates. L'abréviation pop. pour « populaire » a été beaucoup moins utilisée que dans la première édition du dictionnaire. C'est qu'on a renoncé à qualifier de « populaires » des mots et des emplois que toute la communauté employait dans certaines circonstances de la communication. L'auteur de ces lignes, avec Jacques Cellard, a employé pour certains usages généralement qualifiés de « populaires » par les recueils, le qualificatif de « non conventionnel17 ». C'est en effet que ces emplois (« gros mots », vulgarismes, mots érotiques, etc., emprunts à l'argot bien répandus, verlan, etc.) ne sont nullement des marques d'appartenance sociale, par exemple non bourgeoise, mais bien des choix de discours, et qu'ils sont fonction de situations de communication. Ainsi, « populaire », dans ce dictionnaire, est réservé aux emplois réprouvés par les personnes pourvues d'un « capital scolaire » (de suite pour tout de suite, un emploi d'ailleurs très digne au xviiie siècle; votre dame pour votre femme, etc.).
Au contraire, l'abréviation fam. (familier) est ici très employée. Elle correspond aux emplois (formes et sens) normaux dans une communication sociale aisée, plutôt parlée qu'écrite, et dénuée de la contrainte propre aux échanges officiels, hiérarchiques, etc. Elle peut se moduler en « très familier », en « familier et vulgaire », quand le contenu (érotique, scatologique, etc.) est en cause, alors que « argot » est réservé à des mots et à des emplois inconnus de la majorité des locuteurs. Ainsi, alors que le mot bisness, au sens de « affaires » est familier, son emploi au sens de « prostitution » est franchement argotique. Le passage de l'argot à la langue familière est d'ailleurs la règle, créant des usages qu'on peut qualifier d'« argot familier ».
Enfin, la fréquence est prise en compte : mais la marque rare, qui qualifie des emplois non spécialisés et non archaïques très peu attestés, ou des usages minoritaires par rapport à une norme, est elle-même… rare, car elle ne peut être que très intuitive, encore que les mots attestés une ou deux fois seulement dans le vaste corpus du Trésor de la langue française, lorsqu'ils sont par ailleurs inconnus de tous les témoins consultés, méritent sans aucun doute cette qualification.
Une question sur laquelle il faut peut-être préciser notre point de vue est celle des usages et discours spécialisés. De nombreux mots et syntagmes (parfois formés avec des noms ou des verbes courants) sont inconnus de l'usage général et réservés à des discours spéciaux : professionnels, pédagogiques, didactiques, scientifiques, techniques… Ces mots correspondent en général à des « termes » qui peuvent être classés par domaines du savoir. C'est ainsi que procèdent les encyclopédies et dictionnaires encyclopédiques, pour lesquels ce sont non pas les mots, mais les termes et surtout les notions qui comptent. Ainsi, les notions de « chêne » et de « chien » — hommage à Queneau — appartiennent bien à la botanique et à la zoologie. Mais les mots chêne et chien, eux, ne sont pas propres au discours des sciences naturelles, et appartiennent de plein droit au vocabulaire le plus courant. Ici, donc, ils ne seront nullement marqués, alors même que leur définition peut avoir recours à des notions scientifiques (« cupuliféracées », « canidés »).
Le dictionnaire de langue n'a pas à classer les termes par domaine autrement que par leurs définitions. Mais il peut et doit classer les mots — et les syntagmes — par leur caractère sociolinguistique, comme aptes à former du discours général ou du discours spécial, du discours neutre ou du discours « marqué ». L'opposition est évidente quand il s'agit de synonymes. Dire que quelqu'un a la jaunisse est neutre; qu'il a un ictère, manifeste une intention didactique, savante, professionnelle, médicale, etc.
Le lecteur ne doit donc jamais oublier que ces abréviations concernent l'usage linguistique et lui seul; qu'elles ne doivent pas figurer devant un mot courant, même si ce mot désigne un objet scientifique : écologie, transistor, électronique appartiennent, bien ou mal compris, au français de M. Tout-le-Monde.
D'une manière générale, l'absence de ces marques devant un mot ou un sens signifie que ce mot, ce sens, sont d'emploi normal pour une personne cultivée. Lorsqu'on a précisé cour. (courant) ou mod. (moderne), c'est soit pour écarter un doute possible, soit pour opposer un emploi normal de nos jours à un emploi spécial ou vieux. Ex. le substantif ton qui, dans son sens I (concret, sonore), se subdivise en un emploi A, courant, un emploi B, propre à l'usage didactique de la phonétique (les tons des langues africaines, du chinois), et C, au langage de la musique (ton I : A. Cour…; B. Phonét…; C. Mus…).
Il va de soi que cette notation généralisée des valeurs d'emploi est délicate et sujette à contestations : certains pourront trouver courants des termes considérés ici comme techniques ou scientifiques, d'autres emploieront encore (ou auront l'impression d'employer) des mots notés comme vieillis. Dans d'autres cas, il est impossible de décider si un nom d'animal ou de plante est savant ou courant, régional ou général : cela dépendra des situations de communication, du caractère familier de la chose et non plus du mot. Suivant le même raisonnement, les mots carrosse ou montgolfière ne sont nullement vieux : ce sont les choses désignées qui n'existent plus — elles sont d'ailleurs aptes à revivre : la montgolfière l'a récemment prouvé —; on les a donc présentés sous les rubriques anciennt (anciennement) et hist. (histoire) qui signifient que le mot désigne encore de nos jours une réalité du passé. En effet, les termes se référant à ces réalités du passé (antiquité, féodalité, etc.) sont plutôt des termes du discours de l'historien — quand ils ne sont pas connus du grand public — que des termes repérables par une marque temporelle; et c'est bien ainsi, comme un mot didactique de spécialité, qu'un terme d'antiquité (noté antiq.) doit être interprété, et nullement comme un mot archaïque. En somme, c'est toujours la forme linguistique, et non pas la notion ou la chose qui est qualifiée. La distinction n'est délicate qu'en apparence; elle sera vite comprise et utilisée avec profit par les étrangers. Quels que soient les problèmes posés par tel ou tel choix particulier, nous avons la conviction que cette méthode est indispensable au perfectionnement des dictionnaires, et apporte à l'usager des renseignements qui sont aussi précieux que ceux qui concernent le sens ou les constructions d'un mot.
Malgré sa longueur — qu'on a cru nécessaire — cette préface ne fait que survoler un sujet extrêmement complexe. Un dictionnaire tel que celui-ci est un objet culturel qui implique de nombreuses options, tout en véhiculant les traits saillants d'une longue tradition.
On aura compris, je l'espère, dans quel esprit l'ouvrage a été entièrement revu, enrichi, parfois modifié. Cet esprit est celui de l'ouverture vers les conceptions descriptives les plus efficaces, les plus tournées vers les utilisateurs. Le dictionnaire de langue, différant en cela de l'encyclopédie, se doit de proposer une image claire et suffisamment extensive de cet instrument fondamental d'expression et de communication qu'est la langue, pour nous le français. Divisé en usages différents — dans le temps, dans l'espace, dans le tissu social — le français, dans un tel ouvrage, doit exposer sa variété tout en manifestant son unité. Le dictionnaire doit proposer des modèles, des normes, sans jamais éliminer les ferments d'évolution qui compromettent ces modèles. Il doit certes dire la « vérité des mots » jusque dans leur lointain passé (l'étymologie), mais aussi la vérité des usages jusque dans la trahison ou la transgression de cette vérité première, que le poète seul peut éviter de compromettre (« un sens plus pur aux mots de la tribu » — mais la tribu nous est précieuse et fraternelle !). Il doit, à travers les formes du langage, mots, expressions, tournures, saisir la vitalité du dire et de l'écrire dans ses productions les plus vives, celles des témoins de la culture, qui ne sont pas seulement les écrivains.
Le découpage du monde, l'organisation de la pensée et de la vie culturelle que propose le lexique d'une langue naturelle, incarne et représente la totalité de l'expérience sociale historique : ce qui est dit, écrit, nommé, exprimé, c'est tout ce qui importe à la communauté. C'est pourquoi le dictionnaire est (devrait être) l'exposé liminaire, le seuil de la compréhension interhumaine, de l'échange : je pense ici à un dictionnaire idéal, bien différent de ce temple de la norme auquel Valéry subtilement songeait. Mais l'objet matériel qu'est ce dictionnaire-ci, ce livre, peut se tourner vers cet horizon. N'excluant aucune mode, pour prendre à leur égard plus de recul, intégrant les traditions pour montrer les voies possibles de leur dépassement, le dictionnaire se veut l'historien et le sociologue du pouvoir de dire. La description analytique d'un ensemble lexical, à condition qu'elle soit équilibrée et sincère, informée et critique, constitue la voie d'accès à cet univers mental collectif, qu'il s'agisse de mieux connaître une langue maternelle en laquelle cet univers se forme et s'exprime, ou de maîtriser une langue, d'abord étrangère, qui en garde l'entrée.
Décembre 1984-avril 2001
Alain Rey.
Notes
1. Voir notamment : G. Matoré, Histoire des dictionnaires français, Paris, Larousse, 1968; B. Quemada, Les Dictionnaires du français moderne (1539-1863)…, Paris, Didier, 1968; A. Rey, Encyclopédies et Dictionnaires, Paris, P.U.F., Que sais-je ? no 2000, 1982; R.-L. Wagner, Les Vocabulaires français, t. I, Paris, Didier, 1967.
2. Le Dictionnaire universel d'Antoine Furetière (…) précédé d'une biographie de son auteur et d'une analyse de l'ouvrage par Alain Rey, suivi d'une bibliographie, d'un index thématique (…), S. N. L.-Le Robert, Paris, 1978 (3 vol.).
3. Sur Littré et son œuvre, voir Littré, l'humaniste et les mots, par A. Rey, Paris, Gallimard; et Émile Littré (actes du Colloque 1981 du Centre international de synthèse), Paris, Albin-Michel, s. d. (1983).
4. Voir, par exemple, le Robert Benjamin et le Robert Junior, dont les textes, entièrement originaux, ne doivent rien aux dictionnaires pour adultes.
5. Mais de récents dictionnaires spéciaux, et notamment celui « des régionalismes de France » par Pierre Rézeau, qui inclut les travaux de Jean-Pierre Chambon, Jean-Paul Chauveau, André Thibault, et d'autres chercheurs.
6. On ne se préoccupe pas des homographies en discours qui troublent les relevés automatiques de textes, du type « les poules du couvent couvent », puisque le substantif couvent et le verbe couver sont distingués par la forme de l'entrée même.
7. La véritable finalité d'un ensemble de ce genre est terminologique. Dans ce domaine, rappelons-le, l'unité n'est pas le mot de la langue, mais le terme, qui est un nom dans un système de désignation reflétant un ensemble organisé de notions. Le terme correspond le plus souvent sur le plan du langage à un syntagme. L'insuffisance des vocabulaires terminologiques imprimés — en particulier scientifiques et techniques — est notoire, et leur inévitable archaïsme, face à des évolutions rapides, est une plaie pour l'utilisateur. Celui-ci est le plus souvent un traducteur. Pour ce public exigeant, spécialisé, la solution d'avenir ne peut être que l'informatique, et notamment la banque de données terminologique, dont une utilisation privilégiée est l'aide à la traduction. Ces « banques » sont, plutôt que des dictionnaires, des fichiers interrogeables sur le mode « conversationnel ». Il faut noter que le contenu quantitatif de ces systèmes s'évalue en termes, et doit être au minimum de l'ordre du million, ce qui correspond à peu près au nombre de syntagmes contenus dans un dictionnaire encyclopédique de 80 000 à 100 000 entrées-mots. Pour fixer les idées, un dictionnaire général de langue comme le Trésor de la langue française ou le Grand Robert, avec des nomenclatures de l'ordre de 70 000 à 80 000 entrées, contient un nombre très supérieur de syntagmes, parmi lesquels les syntagmes terminologiques figurent pour plusieurs centaines de milliers (environ 500 000, selon une évaluation tout intuitive), certaines entrées, comme point ou chaîne, comportant plusieurs dizaines de ces syntagmes.
8. Le Trésor de la langue française, comme le Dictionnaire général, est beaucoup plus développé dans les premières lettres que dans la suite; au contraire, la première édition du Robert, comme le Littré, est plus sommaire au début de l'alphabet, et devient progressivement plus extensive. Le présent dictionnaire tend à un meilleur équilibre, et l'importance relative de ses articles nous semble refléter plus correctement que dans d'autres dictionnaires l'importance réelle des mots dans l'usage.
9. N. Catach, Orthographe et Lexicographie, Paris, Didier.
10. Voir, par exemple, A. Martinet, La Prononciation du français contemporain, Droz, rééd. 1971; A. Martinet et H. Walter, Dictionnaire de la prononciation française dans son usage réel, France-Expansion, 1973; H. Walter, Enquête phonologique et variétés régionales du français, Paris, P.U.F., 1982; et, avec une importante bibliographie : Phonologie et Usages du français (Langue française, no 60, déc. 1983).
11. Le Dictionnaire historique de la langue française, dirigé par le signataire de ces lignes, assume ce rôle.
12. Sa lettre A est d'ailleurs en cours de publication, avec un texte très augmenté.
13. Voir Structures étymologiques du lexique français, Paris, Larousse, 1967, rééd. à paraître chez Payot; Dictionnaire des étymologies obscures, Paris, Payot, 1982.
14. Voir A. Rey, « Néologisme : un pseudo-concept ? », in Cahiers de lexicologie, XXVIII, 1976, 1.
15. Voir notamment La Définition, éd. Larousse, 1990, et, dans l'ouvrage de J. Rey-Debove, Étude linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains, le chapitre consacré à cette question.
16. Voir le chapitre consacré à l'exemple dans Étude linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains, par J. Rey-Debove, et « L'exemple », numéro thématique de la revue Langue française.
17. Dictionnaire du français non conventionnel, par Jacques Cellard et Alain Rey, Paris, Hachette, 1980.